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L’œuvre est destinée à être lue et vue en même temps, l’œil devant percevoir simultanément le rythme des
mots, des couleurs et des formes.
Plus qu’un livre illustré,
La Prose
s’impose comme un véritable tableau-poème, une œuvre d’art total. Le texte,
les formes, les couleurs se mêlent et se répondent en parfaite symbiose.
La contribution de Sonia Delaunay est totalement abstraite, exceptée la carte géographique du Transsibérien
en tête du poème et la Tour Eiffel accompagnée de la grande roue en pied.
L’interprétation de figures oblongues, courbes et circulaires, procure une impression de dynamisme et
d’éblouissement. Il s’agit en effet de traduire en couleur le rythme et l’émotion du poème.
La typographie, inédite pour l’époque, faite de caractères de tailles, de formes et de couleurs différentes,
accompagne cette volonté de créer un langage nouveau.
Sonia Delaunay relate ainsi sa rencontre avec Blaise Cendrars : «
Le mercredi, Apollinaire recevait ses amis
dans son nouvel appartement. A une de ses soirées, j’ai vu, assis sur son grand divan, un petit jeune homme
frêle et blond, Blaise Cendrars […] Peu après, Cendrars m’apporta La Prose du Transsibérien et de la petite
Jehanne de France et, très emballée par la beauté de ce texte, je lui proposai de créer un livre haut de deux
mètres une fois déplié. Je m’inspirai du texte pour une harmonie de couleurs qui se déroulait parallèlement au
poème. Les lettres d’impression furent choisies par nous, de différents types et grandeurs, choses qui étaient
révolutionnaires pour l’époque. Le fond du texte était coloré pour s’harmoniser avec l’illustration. […] Les
contrastes de couleurs, expliqua Guillaume Apollinaire, habituaient l’œil à lire d’un seul regard l’ensemble
d’un poème, comme un chef d’orchestre lit d’un seul coup d’œil les notes superposées dans la partition
»,
parfaite définition de ce que Sonia Delaunay et Blaise Cendrars entendaient par « peinture simultanée ».
Le poème de Blaise Cendrars en lui-même s’inscrit également dans l’avant-garde littéraire. Les 445 vers libres
insufflent un vent de liberté tant par leur style que par leur propos.