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Journal d’amour de José Warnet à sa chère Julie
Île Maurce, Chine, Krakatoa
1772
-
1773
Journal d’amour de José Warnet à sa chère Julie, tenu depuis son départ de l’Île Maurice, jusqu’à son arrivée en Chine et son retour
jusqu’à l’île de Krakatoa.
1772
-
1773
.
Un cahier in-
4
° de
52
feuillets manuscrits, reliure de vélin (feuillets débrochés).
Ce manuscrit commence par deux feuillets blancs, puis par un feuillet numéroté
26
. Il est néanmoins complet depuis la première lettre écrite par J. Warnet
trois jours après son départ de l’Île Maurice (
22
juin
1772
), jusqu’à sa dernière lettre écrite le
31
janvier
1773
.
Étonnant journal amoureux, tenu sous forme de lettres consignées presque chaque jour dans un cahier. Outre l’expression d’intenses sentiments amoureux
dont la variété laisse percer un certain érotisme, José Warnet dévoile sa conception de la vie conjugale et familiale, forme de nombreux projets, donne des
instructions de comportement à sa femme, expose son besoin de gagner de l’argent afin de pouvoir faire vivre sans souci sa famille, décrit les songes &
cauchemars de ses nuits et les rêveries auxquelles il s’abandonne quand il peut jouir d’une tranquille solitude, et enfin raconte quelques événements de son
voyage maritime. D’un point de vue littéraire, le XVIII
e
siècle semble déjà s’évanouir, tellement ces lettres préfigurent la floraison des Romantiques.
Joseph Warnet, probablement natif de Champagne, fut en
1764
-
1765
chirurgien du vaisseau Penthièvre qui fut armé à Lorient pour la Chine, passant par
l’Île Maurice. En
1775
, il fut subrécargue (= représentant à bord du propriétaire du vaisseau et de sa cargaison) sur le Sartine, vaisseau nouvellement construit
à Bordeaux pour aller en mer de Chine; son frère François Warnet était le second.
La première lettre (
22
juin
1772
) : « Pour le coup ma cher Julie c’est a ton tour de gronder, voila trois jours que nous sommes partis et je ne t’ai pas encore
dit un mot ... J’ai été occupé depuis mon depart a deux choses tres essentielles, premierement a remplir le devoir de mon etat parce que mon confrere etant
malade je suis seul, secondement a renger tous mes comptes, et les mettre par ordre, choses qui est plus longues que difficile n’ayant fait autre choses a Morice
que coucher sur des brouillons mes ventes et achats.... Je te parlerai le plus souvent que je pourrai mais mon cœur ne quitera jamais le tien, j’ai profité d’un
moment de relache pour te dire que je suis tout a toi, soit en surre comme de l’existance d’un dieu; t’aimer et te plaire sont les délices de ton mari Warnet. »
24
juin
1772
: « ... nous avons le plus beau temps du monde, j’ai tout lieu de croire que je serai moins mécomptant de cette traversé ci que de la dernière ...
Je jouirai plus tranquilement du plaisir de penser a ma cher Josette, j’oubliois de te dire que tous les jours que je n’ai pu t’écrire j’ai pris ton aimable portrait
a témoin de l’impossibilité et quand le baisant mil et mil fois il m’a promi que tu me le pardonnerais, confirme donc cher amie ce qu’il a avancé et crois qu’il
n’est pas dans l’univert entier un plus fidel amant et mari que ton Warnet. »
25
juin
1772
: « Il m’est donc encore permis de m’entretenire tranquillement avec ma cher amante, quel plaisir pour moy cher Julie de te donner quoiqu’a
5 000
lieux de toi des preuve d’un amour sans egal, et cela tous les jours, oui chere amie il est indicible, et c’est ce qui fait ma plus grande consolation, tu ne
poura pas dire que ton fidelle amant t’aye oublié un jour pas meme un seul instant, ce petit journal sera mon garent, c’est dans lui que mon cœur se décharge
de ses plus cruelle peine; c’est avec lui que j’oublie mon chagrin, les heurs me sembles des minutes, je ne finis jamais sans avoir encore mil choses a te dire,
cependant je mets un frain a mes desires, voulant suivre avec exactitude le pland que j’ai formés de t’écrire tous les jours je ne veux pas devenir ennuieur et
il en resulte un bien; tout jour occupé de ce qui me reste a t’aprendre je n’aspire qu’a près l’heur ou cela m’est permi : c’est toujour sur les ailes de l’amour
que je reviens dans le charmant réduit ou est renfermé le precieux manuscrit. Recois donc encore les assurance de mon attachement, recois de nouveau mes
vœux, mon cœur et ma main, aujourd’hui plus amoureux que hier, demains encore plus et ainsi tous les autres, jusqu’a ce que le dieu qui a reunie nos cœurs
ne réunisse nos mains et nos ames pour ne se plus quiter ... ».
26
juin
1772
: « ... C’est un commencement des plaisirs que je me propose, en déposant dans ton sein ma joie et mes peines, je veux te donner l’exemple
afin que tu la suive, car souviens toi bien que je ne veux pas que tu aye la moindre chose de caché pour moi pas même une pensée, ne te fache pas du mot
«je veux», en i faisant bien reflection tu l’entendras ainsi que je le dit, c’est a dire qu’ayant fait serment l’un et l’autre de faire ressiproquement ce que nous
voudrions, ce que «je veux» veut dire «nous voulons», c’est ainsi qu’il faut l’entendre, voila de la moral pour de l’amour, il ne nous en manquera jamais, il
faut bien quelquefois parler raison, dans mon dernier livre je l’ai fait suivant les circonstances, je compte dans quelque temps reprendre ou j’en suis resté, en
attendant aime moi fidelment, donne moi souvent des preuvent de ton amour, je n’oze me flater que ce soit tous les jours et a te dire vrai je ne serois pas faché
de trouver l’occation a mon retoure de te gronder un peu mais bien peu, ne fusse que pour te prouver que les hommes sont quelque fois plus exacts en amour
que les femmes; adieu, je t’aime de tout mon cœur. J. M. Warnet. »
28
juin
1772
, à
7
heures du matin : « Pour le coup cher amie ce sera le bonjour, car je suis surre que ma paresseuse est encore au lit, ne compté pas Madame
que vous passerés ainsi toute votre vie, je saurai i metre bon ordre, je vous conseille de jouire du bon temps que vous avés sous les ailes d’une bonne et tendre
mère, mais song que lorsque tu auras pris un chériseigneur et maitre il en ira tout autrement, dès les six heures du matin j’aurai grand soin de te reveiller
agréablement, je dis agréablement parce que les maris ont un moyen d’éveiller leur femme sans qu’elle puisse gronder ni même bouder, quand il sera temps
je vous l’aprendrai...»
29
juin
1772
: longue description d’un rêve horrible (aventures diverses, mariage de Julie avec un autre, accidents et mort, etc.), réflexions sur l’absence et sur
la mort. « Ô absence ! Ô tourment ! Ô bisard et funeste etat que celui ou l’on ne peut jouir que du moment passé ... Je me flatte que le dieu qui nous forma
l’un pour l’autre ne nous a pas fait nous connoitre si peu, pour nous rendre si longtemps malheureux, vie donc adorable amie ne fuce que pour ton malheureux
amant songe que nos ame atachés l’une a l’autre ne peuvent aller voir le rivage des morts sans entrener sa compagne, c’est pour toi, c’est par toi que je respire;
sans ma Julie point de bonheur; sans ma Julie la terre ne m’est rien; Julie morte, il faut mourir. »
30
juin
1772
: « Moins agitté qu’hier, sans cependant estre plus raisonnable, je viens rendre hommage a la divinité que mon cœur adore; oui, divinité, c’est
le seul terme propre a rendre ce que je ressent pour toi, et je fait serment de n’en jamais avoir d’autre sur la terre; telle chose qui soit, ou qui arrive, ma Julie
sera la seule qu’adorera mon cœur, tout autre ne sauroit allumer dans mes veines le feux qui les consume. Car je suis surre qu’on ne peut aimer ainsi qu’une
fois : si tu n’est plus ... quel pausé grand dieu ... mon ame ayant perdu la moitié de son existance ne tardera pas a t’aller rejoindre. Si plus fortuné que je n’ose
le croire, je puis a mon retour lier ma destiné a la tienne, je ne penserai plus que jouir du supreme bonheur en te procurant des jours doux et tranquils, ta
félicité sera la mienne, dans tes yeux je lirai mon destin chéri; carressé par ma divine Julie je n’aurés d’autre embition que son repos, peut estre un jour un
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