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Lettres & Manuscrits autographes
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26 mai 2020
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VERLAINE Paul (1844-1896)
MANUSCRIT autographe,
Épitaphe
, [1886] ;
1 page in-8 sur papier quadrillé, à l’encre
rouge dans une grande croix dessinée (fente
réparée).
Projet d’épitaphe pour ouvrir les
Mémoires
d’un veuf
.
C’est en 1886 que Verlaine publia ses
Mé-
moires d’un veuf
(Léon Vanier, 1866), alors que
son ex-épouse, Mathilde Mauté, se remariait
le 30 octobre 1886. Cette « Épitaphe » devait
figurer en tête du livre, comme le montre le
titre
Mémoires d’un veuf
biffé dans le coin
supérieur droit de notre manuscrit, mais en
fut retirée ; elle fut publiée en 1929, avec
variantes, au tome II des
Œuvres posthumes
.
Inscrite dans une croix, telle une pierre tom-
bale, elle est comme une épitaphe à l’ancienne
épouse.
« Ici repose qui fut une fille de qui l’on
ne dit rien, une épouse vague, une mère
inconsciente.
De son vivant on l’appelait :
LA PRINCESSE CERTAMÈNE
Elle faillit mettre aux prises deux hommes
[Verlaine et Rimbaud]. Pourquoi ? Fut nuisible
à des poètes. Pour qui ?
Consacra le reste de ses jours à des visites,
soirées et bals chez des bourgeois pervertis.
La Foi lui fut indifférente, l’Espérance inconnue
et la Charité lettre morte.
Kleptomane, en outre. Elle mourut d’une mort
absurde, sans le signe de la Croix, mais à son
ombre que voilà, car la Miséricorde divine
est infinie. »
Dans une note collée au bas du feuillet, Ver-
laine explique : « Mot latin tourné en dési-
nence franco-grecque.
Certamen
, combat.
Certamène
, combative. “Femme de querelle”
(V.
Parallèlement
). »
Au verso, de la main de l’éditeur Léon Vanier,
projet d’un recueil de proses de Verlaine,
avec liste de titres (et chiffres pour cali-
brage) :
Conte de fée
7,
Extrêmes onctions
4,
La Goutte
2,
Ægri somnia
4, [...]
Mes hos-
pices
3 »…
2 800 - 3 000 €
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VERLAINE Paul (1844-1896)
MANUSCRIT autographe signé
« Paul Verlaine »,
René Ghil
, [1887]
;
5 et 9 pages in-8 sur papier administratif,
montées sur onglets, reliure cartonnage bradel
de papier marbré.
Belle étude sur le poète René GHIL, pour
la revue
Les Hommes d’aujourd’hui
.
Le manuscrit est en deux états : le brouillon de
premier jet, puis le manuscrit de travail de la
version définitive, avec des développements
importants par rapport au brouillon initial ;
tous deux présentent de nombreuses ratures
et corrections.
« René Ghil, poète français, est né le 26 7
bre
1862, à Tourcoing (Nord). Comme pour beau-
coup de personnes d’origine flamande, il
y a gros à parier qu’il a du sang espagnol
dans les veines. On a déjà dit de lui : “…
un Espagnol perdu dans les brumes de la
Flandre.” On ne s’est pas trompé non plus en
traitant, à cette occasion, son génie et son
talent d’“imagination chaude domptée par une
logique sévère” »… C’est un artiste instinctif,
un cas exemplaire d’esthétique transcendante.
« Décadent ou symboliste, ou l’un et l’autre,
n’importe, en admettant que l’un diffère de
l’autre, que
décadent
qui est pittoresque et
historique comme
gueux
et
sans-culottes
, et
symboliste
qui est amusamment pédantesque
[…] signifient ceci ou cela, peu ou prou ou, en-
core rien, René Ghil représente la génération
levante d’ouvriers en vers, et fortement, par
l’exemple et le précepte »… Verlaine évoque
l’enfance campagnarde de Ghil, laquelle lui
inspira la passion pour la nature que l’on
trouve dans son livre « absolument beau » de
Légende d’âmes et de sangs
. Puis il expose
son projet d’une œuvre poétique en six livres,
dont le deuxième,
Le Geste ingénu
, paraîtra le
10 mars : « c’est, par
suite de poèmes distincts
mais logiquement liés entre eux pour que le
livre soit un
, la mise en scène
symbolique
des montées du désir de la jeunesse,
hors
du temps et du lieu, dans l’espace indéfini
de ces âges moyens qui doivent conduire,
par évolution, au Rêve pur et à la raison
cherchée
, ce qui sera dans le 6
e
livre »…
Il cite la dédicace à MALLARMÉ, des phrases
admiratives de celui-ci à Ghil, et parle en-
fin du
Traité du verbe
que Mallarmé avait
consenti à préfacer, l’an dernier. « Partant
de ce principe, admis en somme, qu’il y a
parité entre les sons et les couleurs – Bau-
delaire et Rimbaud, génies, ont déployé
l’idée émise par de nombreux théoriciens
– pourquoi le Poète ne trouverait-il pas les
couleurs en sons, une fois bien déterminées
les couleurs des voyelles et des diphthon-
gues, “et aussitôt en timbre d’instrument”,
pourquoi même sa magie ne s’étendrait-
elle pas jusqu’aux consonnes le tout for-
mant un orchestre intelligent et coloré ? »…
Il résume le système orchestral du poète, qui
donnera des vers musicaux, « non musiciens !
insiste Ghil », comme l’illustrent deux poèmes
imprimés collés à la fin du manuscrit, dont
un fragment inédit de l’
Impromptu de cuivres
et basses
.
On a monté en tête du volume deux portraits
de Verlaine, l’un tiré sur papier bleuté par
Cazals, l’autre gravé sur papier bleu et l’autre
gravé à l’eau-forte.
2 000 - 3 000 €