les collections aristophil
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GAUGUIN PAUL (1848-1903)
Lettre autographe signée adressée à
Émile SCHUFFENECKER
Tahiti, 10 avril 1896, 4 pages in-4 à
l’encre sur papier ocre, enveloppe
autographe conservée (déchirée,
marque postale mais sans timbre).
(Plis légèrement marqués, petite fente
sur le pli d’un des feuillets).
8 000 / 10 000 €
Belle lettre écrite lors du second et définitif
séjour de Gauguin à Tahiti
.
Le peintre,
désespéré, expose les difficultés matérielles
qui le conduisent à abdiquer toute fierté et
Gauguin ajoute en post-scriptum qu’il faudrait
faire la photographie de son portrait par
Eugène Carrière car plusieurs personnes
lui ont demandé un portrait.
L’on joint
une enveloppe autographe au
journaliste et écrivain Carl Siger, spécialiste
des questions coloniales. L’enveloppe est à
l’adresse du « Mercure de France à Paris »,
avec timbres et cachets postaux « Atuana-
Tahiti 31 octobre 1902, et Paris 14 décembre
1902 ».
- Pont-Aven, [septembre 1894], 4 pages in-8
à l’encre sur papier ocre. (On relève sur le
second feuillet des chiffres notés d’une autre
main et la trace d’un cachet de collection à
l’encre violette).
Revenu en France l’année précédente après
son premier séjour à Tahiti, Gauguin est
retourné à Pont-Aven dès le printemps
1894
. « Notre correspondance est en effet
difficile vu les écarts énormes entre tes
lettres et les miennes ce qui te permet de
ne jamais répondre à ce que je demande.
Enfin aujourd’hui par suite des épreuves
je suis habitué à tout. Je me demande
quelquefois pourquoi j’ai quitté ce charmant
pays où relativement j’étais tranquille pour
revenir en France où je suis plus isolé et si
fâcheusement éprouvé. J’ai manqué d’être
tué à Concarneau il y a déjà 4 mois de
cela et après d’atroces souffrances, le pied
brisé, ce qui a beaucoup ruiné ma santé, je
reste boiteux et incapable de sérieusement
travailler d’ici 2 mois. D’un autre côté je ne
vends rien : Van Gogh n’est plus là et je n’ai
aucune maison qui s’occupe sérieusement de
moi ; enfin j’espère que cela viendra. Tu vois
que pour le moment je ne peux rien faire et
sans le peu d’argent de mon oncle je serais
encore plus dans la misère qu’autrefois.
Mais tu as là-bas une provision d’œuvres
de moi avec lesquelles tu arriveras peut-être
à faire de l’argent : je n’ose croire que tout
soit vendu […] ».
évoque le manque de reconnaissance à son
égard, lui dont les hardiesses ont enseigné la
liberté à des artistes qui vendent davantage
que lui. Il demande de l’aide à son ami le
peintre Schuffenecker qu’il connaît depuis
1873 et dont l’amitié ne se démentira jamais.
Il évoque les « singeries habituelles » de sa
femme Mette pour obtenir de l’argent alors
que selon lui, elle n’est pas malheureuse du
tout et gagne facilement sa vie à Copenhague.
Elle a donc trompé Schuffenecker en lui
demandant l’envoi de tableaux, mais Gauguin
ne peut en vouloir à son ami. Quant à lui, il
est « dans la mélasse jusqu’au cou », endetté
et sans ressources. S’il fait confiance au
marchand de tableaux Lévy, un homme
très entier « convaincu et très adroit »
contrairement à bien d’autres, il a absolument
besoin d’argent n’en ayant plus que pour
quatre mois, même en ne buvant que de
l’eau et en se nourrissant de pain et de thé…
« A 50 ans bientôt je suis par terre sans forces
et sans espérance. A la jeunesse j’ai donné
en quelque sorte à défaut d’enseignement la
liberté : par mes hardiesses tout le monde
ose aujourd’hui peindre à côté de la nature et
tous en profitent, vendent à côté de moi parce
qu’encore une fois tout paraît maintenant
compréhensible à côté de moi. Enfin ne
récriminons pas. Toujours est-il que j’ai perdu
toute fierté. Jamais on ne m’a protégé parce
qu’on me croyait fort aujourd’hui je suis faible
je demande protection ».
Il compare sa situation à celle d’Émile Bernard
et de Charles Filiger, « des jeunes moins
intéressants que moi » qui bénéficient eux de
protection et de l’aide de leur famille. Gauguin
demande à Schuffenecker de demander
un prêt au comte de La Rochefoucauld :
« Daumier qui me valait bien avait sans
rougir accepté une rente de Corot », en
rappelant qu’il a encore à Paris une petite
statue « que je crois une pièce unique à
Paris soit comme matière céramique soit
comme art. Enfin faites l’impossible et vite
aussitôt parce que le temps c’est ma ruine.
[…] ». « […] J’ai reçu une lettre de Vollard qui
me propose de lui faire une planche gravée
et tirée par moi à 100 exemplaires. Mais à
quoi pense-t-il. Comment veut-il que je fasse
cela ici, je n’ai pas le papier nécessaire et
une presse. Surtout le papier… - Dites-lui
donc qu’il n’y a pas mauvaise volonté de
ma part mais impossibilité de ma part. Il
me demande aussi de baisser le prix des
deux petits tableaux de soleil de Van Gogh.
Donnez-lui l’autorisation de les vendre 300f
chaque et net pour moi […] ».
Lettre émouvante et exceptionnelle de Paul
Gauguin.




