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les collections aristophil

704

GUEZ DE BALZAC Jean-Louis

(1597-1654) littérateur et

épistolier, membre fondateur de l’Académie française.

L.A.S. « Balzac », Balzac 4 août 1630, au cardinal de

RICHELIEU ; 15 pages in-4.

10 000 / 12 000 €

Magnifique et longue lettre à Richelieu, superbement calligraphiée,

où Balzac expose en détail le plan de son ouvrage

Le Prince

(1631)

.

[Cette lettre, qui accompagnait l’hommage d’une copie du troisième

livre du

Prince

consacré particulièrement à Richelieu, « témoigne

de l’art de Balzac d’enrichir ses épîtres de la cadence et des tours

propres au style oratoire » (Hélène Carrère d’Encausse) ; elle a été

publiée dans

Les Œuvres

, 1665, I, lettre

XLIX

.]

« Monseigneur

Estant encore arresté icy par quelques aÀaires, que je ne puis laisser

sans les perdre, je souÀre avec beaucoup de douleur une si dure

necessité, et commence à m’estimer banni en ma Patrie puis que je

suis si long temps esloigné de vous. Je ne nie pas que les victorieuses

et triomphantes nouvelles, qui nous vienent à toute heure du lieu où

vous estes, ne me donnent quelque esmotion de joye, et que je ne

sois sensiblement touché du bruit que vostre nom fait de tous costés.

Mais ma satisfaction ne sçauroit estre entiere, d’apprendre dans les

relations d’autruy les choses dont je devrois rendre tesmoignage, et je

m’imagine tant de plaisir a vous considerer en vostre gloire, qu’il n’est

point de soldat delà les Monts sous vostre commandement, de qui

je n’envie la bonne fortune. Je ne laisse pas pourtant, Monseigneur,

ne pouvant vous servir du corps et de l’action, de vous adorer jour

et nuit de la pensée, et d’employer à un si digne culte la plus noble

partie de moy mesme. Vous estes le perpetuel objet de mon esprit.

Je ne le destourne quasi jamais de dessus les merveilles de vostre

vie, et si vous avés des Courtisans plus assidus que moy, et qui

vous rendent leurs devoirs avec plus d’ostentation et de monstre, je

suis certain que vous n’avés point de serviteur plus fidele, ny dont

l’aÀection viene plus du cœur, et soit plus vive et plus naturelle ».

Le cardinal verra dans sa lettre la preuve « qu’un homme persuadé

a une grande disposition a persuader les autres, et que l’Eloquence

animee de l’amour, et appuyée sur la verité remue bien les espris

avec plus de force, et y acquiert bien plus de creance, que celle qui

se mesle seulement de feindre et de declamer »...

Balzac détaille alors le plan de son ouvrage. « Dans le premier Livre il

est traité au long de la vertu et des victoires du Roy, de la justice de

ses armes, de la Royauté, et de la Tyrannie, des Usurpateurs et des

Princes legitimes, de la Rebellion chastiée, et de la Liberté maintenue.

[…] Apres avoir consideré le Roy avec soin, et monstré sa grandeur

par elle-mesme, je la fais voir par la comparaison d’autruy. […] Tout

le second livre est employé à ces divers jugemens, et n’en veut qu’à

de grands et illustres criminels, dont il descouvre les fautes secrettes,

avec une liberté corrigée d’une telle discretion, qu’elle ne viole point

le respect qui est deu à la qualité qu’ils ont portée. Le quatriesme

contiendra les principaux preceptes de la science civile, plusieurs

considerations touchant l’Estat et la Religion, et les plus necessaires

regles pour bien gouverner, que je n’ay pas tant prises des livres que

j’ay leus, que de vostre vie que j’ay estudiée. Pour le troisiesme que

j’oubliois, qui vous regarde particulierement, Monseigneur, et où j’ay

parlé du conseil des Princes, de leurs serviteurs et de leurs Ministres,

c’est celuy que je vous envoye, en attendant que je vous porte le

reste. Or vous scavés, Monseigneur, que le genre d’escrire que je

me suis proposé est sans comparaison le plus penible de tous, et

qu’il est fort malaisé d’agir d’une perpetuelle contention d’esprit, et

de fournir une eloquence qui dure. […] Quant aux Philosophes qui ont

escrit de la Politique, leur ratiocination est d’ordinaire si seche, et si

descharnée, qu’il paroist que leur dessein a plutost esté d’instruire que

de persuader, et d’ailleurs leur stile est si embarrassé, et si espineux,

qu’il semble qu’ils n’ayent voulu enseigner que ceux qui sont doctes.

[…] Mais icy, outre qu’il faut se servir des mots avec plus de choix, et

les placer avec plus de justesse que dans les simples narrations, qui

pour tout l’esclat et tous les enrichissemens de l’expression, ne veulent

que la clarté et la proprieté des termes, J’ay desiré, Monseigneur,

de mettre en usage, et de reduire à l’action les plus subtiles idées

de la Rhetorique, d’eslever ma raison jusqu’à la plus haute pointe

des choses, de chercher dans chasque matiere les verités moins

vulgaires, et moins exposées en veuë, et de les rendre si familieres,

que ceux qui ne les appercevoient pas, les puissent toucher. C’a esté

mon intention de joindre le plaisir à l’utilité, de mesler la delicatesse

parmy l’abondance, de ne combattre pas seulement avec des armes

bonnes et fortes, mais encore belles et luisantes, et de civiliser la

doctrine en la despaisant de l’eschole, s’il m’est permis de parler

ainsi, et la delivrant des mains des Pedans, qui sont ses corrupteurs,

et qui jusques à present ont abusé d’elle. Je ne me suis point garanti

des escueils, en m’en destournant, mais j’ai essayé de couler dessus

avecques soupplesse, d’eschapper des lieux dišciles, et non pas de

les fuir, d’aller au devant des interpretes malicieux par un mot qui

destruit la consequence quils pensent avoir tirée, et de faire voir qui

n’est rien de si aigre, ny de si amer, qui ne se tempere et ne s’adoucisse

par les discours. Enfin je me suis quelquefois laissé emporter à cette

raisonnable fureur, que les Rhetoriciens ont bien connue, mais qui

est au dela de leurs regles et de leurs preceptes, qui pousse l’Orateur

à des mouvemens si estranges, qu’ils paroissent plutost inspirés que

naturels […]. Que si mon entreprise m’avoit reussi, ce que je n’ose,

ny ne veux croire, et si javois montré aux Nations estrangeres qu’en

France tout se change en mieux sous vostre conduite, et que vous

nous augmentés l’esprit, comme vous nous avés accreu le courage,

je n’en meriterois pas pour cela la gloire ; mais il faudroit vous la

rapporter toute entiere, puis que c’est vous, Monseigneur, qui m’aves

donné le premier goust du bien, et la passion des belles choses, et

que de cette excellente diÀerence qu’un jour je vous ouis faire entre

le disert et l’eloquent, je conceus le dessein qu’aujourd’huy je tasche

de produire. En tout cas si je ne puis avoir rang parmy les sçavans et

les habiles, on ne me le scauroit refuser parmy les gens de bien, et

les serviteurs aÀectionnés, et si ma capacité ne vous doit pas estre

en consideration, mon zele merite pour le moins que vous le rejettiés

pas »… Il veut dénoncer « les mauvais françois » et « ceux qui veulent

parler desavantageusement de nos aÀaires. Il est certain, Monseigneur,

qu’elles ne sçauroient estre plus fleurissantes, ny les succès des armes

du Roy plus glorieux, ny le repos de ses peuples plus asseuré, ny

vostre administration plus judicieuse. […] Je pense bien qu’ils pechent

plutost par infirmité que par malice. Il est pourtant fascheux de voir

les sots de ce temps, tenir le mesme langage que les rebelles du

temps passé, et abuser du bien de la liberté contre celuy qui nous

l’a acquise. Ils disent que nous recevrons beaucoup de desavantage

du mescontentement d’un Prince qui s’est separé de nous, et je leur

respons qu’il vaut bien mieux avoir un foible Ennemy a combattre,

qu’un amy infidele a conserver. Ils veulent à quelque prix que ce soit

que le Roy secoure Cazal, et je leur dis qu’il l’a desja secouru par la

conqueste de la Savoye, et qu’en l’estat où il a mis les aÀaires, au pis

aller on ne le prendra que pour le rendre. Ils ne se contentent pas que

vous executiés des actions extraordinaires, ils vous en demandent

d’impossibles. Et quoy qu’il naisse quelquefois dans les choses des

dišcultés qui ne peuvent estre surmontées, à cause de la repugnance

du sujet, et non pas par le defaut de l’entrepreneur, ils ne se payent