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« O

N

VOIT

COMME

ON

VEUT

VOIR

;

C

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EST

FAUX

;

ET

CETTE

FAUSSETÉ

CONSTITUE

L

'

ART

»

(17 mai 1891,

Degas parle

, p. 114). Ce travail en clair-obscur entretenait cependant une parenté avec le langage

formel du symbolisme de cette fin de siècle, « en faisant disparaître tout indice d'expérience

tactile et d'espace navigable dans des ténèbres insondables » (Eugenia Parry, « Le théâtre

photographique d'Edgar Degas », dans

Edgar Degas photographe

, p. 70). Si, dans la « vision

transformative » qu'il propose, il mine les principes de l'impressionnisme, d'un autre côté il

« subvertit le rôle scientifique de duplication des choses de la photographie. Le photographe

nous propose donc la mise en équation du réalisme et des incertitudes de l'évocation »

(Eugenia Parry,

ibid.

, p. 68).

L

E

THÉÂTRE

PHOTOGRAPHIQUE

D

'E

DGAR

D

EGAS

.

Vieillissant, vivant solitaire, Edgar Degas

ressentait fortement le besoin de conserver près de lui la présence

physique et spirituelle

des êtres aimés, menacés d'éloignement ou de disparition – la perte de sa sœur Marguerite

le marqua profondément. Aussi, la grande majorité de ses photographies sont-elles des

portraits d'amis proches, prises à l'issue de dîners chez eux, les Lerolle, les Mallarmé, les

Rouart ou les Halévy. Despotique, le peintre leur imposait de longs réglages de mise en scène,

et d'interminables poses en raison du temps d'exposition nécessaire dans la pénombre – dans

ses carnets, Daniel Halévy avait alors noté : « tous ses amis parlent de lui avec terreur ».

Mais quoiqu'obtenu selon les principes exigeants de l'art, le résultat avait pour vocation de

demeurer dans la sphère intime, et si Edgar Degas exposa des photographies chez Guillaume

Tasset en décembre 1895, ce fut sans publicité.

L

ES

PHOTOGRAPHIES

«

DOUBLES

»

OU COMMENT ACCUEILLIR

LES

IMPRÉVUS COMME D

'

HEUREUX HASARDS

.

On trouve dans les présents albums les deux seules photographies « doubles » connues

d'Edgar Degas, dont une en deux tirages différents (avec cadrage remanié). Résultats d'une

erreur technique consistant à faire deux prises sur le même négatif et occasionnant des

superpositions de personnages, elles étaient généralement mises au rebut par la plupart des

amateurs. Dans le cas d'Edgar Degas, on sait qu'il s'agit également d'une distraction, par une

lettre de Ludovic Halévy à Albert Boulanger-Cavé, en janvier 1896, mais l'effet hallucinatoire

de ces présences mêlées dut être jugé digne d'intérêt par le peintre qui en fit faire plusieurs

tirages qu'il offrit. Il « ne les aurait certainement pas offertes s'il n'en avait pas été satisfait »

(Sylvie Aubenas, « Le photographe aveugle », dans

Edgar Degas photographe

, p. 14). L'album

renferme une autre photographie double, datée, où se voient en deux prises mêlées, Pierre

Loti et l'écrivain anglais John Edward Courtenay Bodley, ami et voisin de Ludovic Halévy

à Sucy, dans un clair-obscur violemment contrasté. Cependant, si le journal de Pierre Loti

évoque bien une visite à Ludovic Halévy, il n'y est pas fait mention d'Edgar Degas ce jour-là.

L'

EMPREINTE

DU

CRÉATEUR

.

« Si puissante est son inspiration, si fécond son génie, que toute

[la] production photographique [d'Edgar Degas], malgré les sombres circonstances de sa

réalisation, porte nettement l'empreinte du créateur. Destinée à la confidentialité, inclassable,

à la fois maladroite et magistrale, elle nous livre sans qu'il l'ait vraiment voulu, une confidence

poignante sur l'homme et un éclairage subtil sur l'œuvre » (Sylvie Aubenas,

ibid.

).

L

ES PRÉSENTS ALBUMS ONT

,

POUR CERTAINS

,

FIGURÉ DANS DEUX EXPOSITIONS

:

Entre le théâtre et l'histoire,

la famille Halévy, 1760-1960

, Paris, musée d'Orsay, 1996 ;

Edgar Degas photographe

, New York,

Metropolitan Museum of Art, Los Angeles, J. Paul Getty Museum, puis Paris, Bibliothèque

nationale de France, 1998-1999.