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Un mois plus tard, Proust tint à lui offrir le premier des cinq précieux exemplaires sur papier du

Japon, à la fois par attachement personnel, mais aussi pour le remercier de sa relecture décisive.

(Les grands papiers sont toujours imprimés après l’édition sur papier ordinaire.) Contrairement à

son habitude, Marcel Proust n'a pas inscrit sa dédicace sur le feuillet de garde mais sur un feuillet à

part : d’une justification un peu plus grande, il était replié.

À une date ultérieure, sans doute après le décès de Marcel Proust et pour des raisons pécuniaires,

Lucien Daudet se sépara de son exemplaire de luxe. Auparavant, il prit soin d’en retirer le précieux

feuillet d’envoi qu’il joignit aux lettres que le romancier lui avait adressées et qu’il conservait “dans

une boîte en carton dont l’étiquette du Bon Marché portait l’adresse de Mme Alphonse Daudet à

Champrosay, fermée par un ruban fané” (Michel Bonduelle).

En août 1946, son médecin étant absent de Paris, Lucien Daudet, alors âgé de 68 ans, fit venir

à son chevet un jeune chef de clinique nommé Michel Bonduelle. Les deux hommes férus de

littérature se lièrent d’amitié. Ils prirent même tant de plaisir à se voir qu’à la fin de l’été, Daudet

offrit au jeune homme la boîte des “lettres de Monsieur Marcel” renfermant le feuillet portant

l’envoi – Lucien Daudet devant s’éteindre quelques mois plus tard, le 16 novembre 1946.

En 1991, le docteur Bonduelle les a publiées sous le titre :

Mon cher petit, lettres à Lucien Daudet

.

À propos de la dédicace, sa vie durant, il chercha en vain le volume qui la contenait : “On aimerait

pouvoir le remettre à sa place”, notait-il, en manière de message mis dans une bouteille jetée

à la mer. Sans doute ignorait-il que ledit exemplaire attendait patiemment son heure dans la

bibliothèque de Raoul Simonson qui l’offrit à sa fille Monique, épouse d’Albert Kies.

Exactement cent ans après que Marcel Proust eut offert le précieux volume à Lucien Daudet, il

reparut dans une vente aux enchères (

Bibliothèque Simonson-Kies

, Sotheby’s Paris, 18 décembre 2013,

nº 607 : avec notice très érudite de Pascal de Sadeleer).

Peu après, Pierre Bergé put acquérir le mirifique envoi séparé auprès du fils du docteur Bonduelle

et le fit insérer à l’endroit où il figurait à l’origine, renouant ainsi les fils d’une histoire centenaire.

Exemplaire en parfaite condition, le seul conservé dans sa première reliure non

retouchée, doté des couvertures et du dos.

Signée “Randeynes & fils”, la reliure a été exécutée après 1925 selon Maurice Chalvet. Elle est

vraisemblablement antérieure à 1935, date à laquelle Félix Randeynes confia les rênes de son atelier

à son fils Henri.

Des quatre autres exemplaires sur Japon, deux étaient conservés brochés (le nº 3, avec envoi au

peintre Jean Béraud et le nº 4 offert à Jacques de Lacretelle, spolié durant la Seconde Guerre

mondiale, aujourd’hui perdu) et deux sont reliés : le nº 2, celui du dédicataire Gaston Calmette

bien qu’il ne porte pas d’envoi, a été relié à l’époque par Georges Mercier avant d’être agrémenté

d’un décor doré dans les années 1950 par son nouveau propriétaire Charles Hayoit. Le n° 5,

offert par Marcel Proust au directeur des éditions Grasset Louis Brun, a été relié par Huser pour

le compte de Roland Saucier, qui fit remplacer la reliure d’origine de Blanchetière usagée. (Voir

la description de Benoît Puttemans dans le catalogue Sotheby’s Paris, 30 octobre 2017, nº 151

décrivant ce dernier exemplaire.)

Michel Bonduelle,

Mon cher Petit

, 1991 pp. 146-147 : “J’ai dit que la page de garde portant la dédicace était arrachée. C’est

détachée ou coupée qu’il fallait dire ; et l’histoire en est relatée par M. Chalvet dans un bref article de 1956 […]. C’est bien un

mince feuillet qui porte cette dédicace. On aimerait pouvoir le remettre à sa place.”

600 000 / 800 000 €