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en janvier 1836, Balzac débute une correspondance avec une femme, dont il ne fera jamais la connaissance et dont il ne
connaîtra que le prénom « Louise ». elle se prétendait comtesse et lui écrivait en anglais. Balzac lui dédiera sa nouvelle
Facino Cane
et correspondra avec elle jusqu'en 1837.
L'identité exacte de cette femme n’a jamais été découverte. on a longtemps pensé, à tort, qu'elle s'appelait Louise Lefèvre.
jean savant a proposé Louise Breugnot (dite de Brugnol), et, plus récemment, Graham robb l’a l'identifiée avec Atala
Beauchêne ; mais aucune de ces deux hypothèses ne semble vraiment fondée.
Balzac se confie librement en évoquant surtout ses souffrances et sa solitude. Assez défiant au début, l'écrivain finit peu à
peu par se livrer davantage, trouvant là un moyen d'échapper à sa solitude et au travail effroyable auquel il se sait
condamné.
sorte de petit roman épistolaire. il souffre de ne pas en savoir davantage sur cette inconnue qu'il souhaite rencontrer, mais
qui se dérobera toujours. Balzac ne se résignera jamais et finira par se lasser d'un tel monologue. Ceci explique peut-être
la brusque interruption de cette correspondance.
Pourtant, comme l'a remarqué Maurice Bardèche dans sa biographie du romancier, le ton singulier de ces lettres témoigne,
chez Balzac, d'un « rêve disparu ». il aurait voulu se lier avec une femme du genre de Mme de Berny, morte en août 1836
« qui venait seulement se poser près de lui, le consoler, le comprendre, sans lui prendre de temps, sans exiger de soins ».
Peine perdue : « Louise ne comprit guère... » (M. Bardèche).
Bardèche qualifie ces lettres de véritable « quête sentimentale ». Louise ayant souhaité d'emblée l'incognito, Balzac
accepte, car, pense-t-il, un tel secret favorise les confidences :
Vous seule, peut-être, saurez les douleurs d'une lutte
inconnue, sous lesquelles je finirai bientôt, exténué, lassé, dégoûté que je suis de tout, fatigué d'efforts sans récompense
directe, ennuyé d'avoir sacrifié mes plaisirs au devoir, désolé d'être méconnu, présenté sous de fausses apparences par des
envieux que je ne connais pas…
(lettre 1). il est écrasé de travail :
… Je suis condamné pour trois mois au moins à ne pas
sortir de mon cabinet, et toute correspondance est prise sur mes heures de sommeil…
(lettre 2).
sans doute flatté par la curiosité de sa correspondante, il dresse un autoportrait extrêmement intéressant :
Sachez … que
ma sensibilité est féminine et que je n'ai de l'homme que l'énergie; mais ce que je puis avoir de bon est étouffé sous les
apparences de l'homme toujours en travail ; mes exigences ne sont pas de moi, pas plus que les formes dures auxquelles
me contraint la nécessité ; tout est contraste en moi, parce que tout est contrarié
(lettre 2).
… Je ne suis rien moins qu'un
homme à la tâche, travaillant dix-huit heures sur les 24 ; j'y suis obligé, mon temps n'est pas à moi...
(lettre 3).
Je suis
dans mon cabinet, comme un navire échoué dans les glaces
(lettre 3). Louise désirant le connaître mieux, Balzac allègue
sans cesse son travail ; il élude de la même façon les questions sur les véritables inspiratrices de certains romans. Lorsque
l'occasion lui est donnée d'en savoir plus sur Louise par un ami commun, il refuse net :
... je sais d'avance combien la
poésie de la vie dont tout le monde a soif dans notre époque plate, est rare
(lettre 6). Cependant, il n'hésite pas à lui envoyer
spontanément le manuscrit autographe d'un de ses ouvrages,
manuscrit précieux aux yeux de ceux qui m'aiment et dont je
suis avare
(lettre 5). et, lorsque Louise le laisse sans nouvelles, il s’inquiète. Ailleurs, il lui reproche sa défiance à son
égard :
votre manque de confiance est désolant !
(lettre 9).
dans un intéressant passage, Balzac évoque sa liaison avec Mme de Castries :
Il a fallu cinq ans de blessures pour que ma
nature tendre se détachât d'une nature de fer ; une femme gracieuse, cette quasi duchesse dont je vous parlais et qui était
venue à moi sous un incognito que, je lui rends cette justice, elle a quitté le jour où je l'ai demandé ... eh bien, cette liaison
qui, quoi qu'on en dise, sachez-le bien, est restée, par la volonté de cette femme, dans les conditions les plus
irréprochables, a été l'un des plus grands chagrins de ma vie ; les malheurs secrets de ma situation actuelle viennent de
ce que je lui sacrifiais tout, sur un seul de ses désirs ; elle n'a jamais rien deviné ; il faut pardonner à l'homme blessé de
craindre quelque blessure ...
(lettre 9).
Puis Balzac malade s'avoue peiné des dérobades de Louise :
Vous m'imposez de dures conditions d'existence ...
(lettre 12).
il passe ensuite quelques jours en prison :
Vos fleurs embaument ma prison ... Je vais travailler là comme je travaille chez
moi, dix-huit heures sur vingt-quatre. Qu'importe où l'on est quand on ne vit pas par les lieux, mais par la pensée !
(lettre
15). Au milieu de ce travail, il assure :
Vous aurez le Lys avant tout le monde... Quelle œuvre ! et que de nuits perdues ! il
y en a bien deux cents …
(lettre 17). Ayant gagné son procès contre Buloz (procès intenté en 1836 par Balzac contre la
publication non autorisée du
Lys dans la vallée
dans une revue russe), il exulte, mais doit finir d'urgence son roman :
j'ai
à faire encore les cent dernières pages...
(lettre 19).
Au retour d'un bref voyage en italie (juillet-août 1836, avec Caroline Marbouty), il apprend que Louise a été malade et lui
écrit en hâte d'une auberge. Mais les dettes reviennent l'obséder :
... depuis huit ans, je dois une somme supérieure à tout
ce que je pouvais prétendre de patrimoine et ma plume doit suffire non seulement à mon existence matérielle, mais encore
à l'extinction de cette dette et de ses intérêts ; ma plume, entendez-vous - alors les jours et les nuits sont employés à cette
œuvre, et rien ne suffit...
(lettre 22). il évoque la mort récente de son ancienne maîtresse, Mme de Berny :
Mme de




