39. ARTAUD (Antonin). Lettre autographe signée à Raymond Queneau, datée
7 février 1945,
4 pages in-12, sous
chemise demi-maroquin noir.
4 000 / 5 000
€
É
MOUVANTE LETTRE INÉDITE À
R
AYMOND
Q
UENEAU
,
SUR SA SITUATION À
R
ODEZ
.
Queneau lui ayant, avec des amis, envoyé un mandat pour améliorer sa vie matérielle, Artaud se confond en remerciements.
Il en profite pour évoquer sa difficile situation à Rodez, où il est interné tout en affirmant sa confiance dans son œuvre.
Je ne sais pas si nous sommes aujourd'hui dans un temps où on peut vivre de sa plume mais je constate que ce que j'écris
se vend toujours. Le Voyage au pays de Tarahumaras m'a été acheté par un nouvel éditeur Robert Godet…
[en fait, le livre
sera publié aux éditions Fontaine, en novembre 1945].
Je veux dire par là que je ne suis ni un paresseux ni un impuissant,
ni incapable et qu'il me suffirait de me retrouver dans des conditions favorables à la production comme je l'étais avant
septembre 1937
[date de son internement au retour d'Irlande]
pour que mes amis soient enfin déchargés du souci qui chez
eux me bouleverse de se demander comment je vis.
A Rodez, il ne dépense rien et n'a pas de besoins, mais :
Je ne vous
dirai pas que je m'amuse beaucoup et que ma vie est passionnante et pour écrire et travailler comme avant il me faudrait
une athmosphère
[sic]
plus exaltante mais voilà tant d'années que je ne vois plus que des fous et que j'ai tant souffert de
trouver des gens m'accuser moi-même de l'être… Puissent ceux qui ont provoqué mon internement en 1937 être maintenant
morts ou disparus…
40. ARTAUD (Antonin). Lettre autographe au crayon à Frédéric [René ?] de Solier, datée
Rodez 26 Juin 1945,
4 pages in-8 carré sur papier quadrillé, sous chemise demi-maroquin noir.
3 000 / 4 000
€
L
ETTRE SUR LA RELIGION
.
Interné à Rodez, Artaud avait subi, durant l'année 1943, des crises de religiosité, bien perceptibles dans ses écrits et lettres
de cette époque. En avril 1945, à la veille d'un adoucissement de son régime d'internement, il rejette totalement la religion.
Rejet violent, dont témoigne cette lettre écrite peu après, et dans laquelle Artaud semble justifier devant lui-même cette
évolution de sa pensée. Il y répond à l'écrivain de Solier, qui lui avait adressé sa revue
Dieu!
, dont le titre l'avait frappé.
Il le remercie de sa lettre :
… Rien ne me va au cœur comme de voir que je ne suis pas oublié.
Il pense collaborer à sa revue
et se justifie à nouveau :
On a dû vous dire qu'à un moment donné
[en 1943]
j'avais été repris par le rituel chrétien, mais
voilà deux ou trois mois que je me suis rendu compte que j'obéissais ce faisant à d'abominables influences… Je suis un
homme et un corps et j'ai un cœur dedans venu de la moelle de mes os, ma douleur, et je ne supporte pas que les esprits
me commandent, qu'ils viennent du ciel ou de l'enfer. Et j'ai été heureux de trouver enfin un homme qui veuille enfin fesser
le nombril de Dieu ! Car Dieu en effet ne s'en ira pas avec ses rites, ses communions, ses messes et son Saint Chrême si
l'on ne se décide pas à le fesser avec toute la brutalité d'une haine que les siècles ont accumulée…
Lui et son correspondant
sont donc proches :
…C'est vous dire que j'ai été traité d'insensé un jour il y a huit ans
[allusion à son internement en 1937,
au retour d'Irlande]
parce que je pense que les choses n'ont pas de sens, et que seul l'instinct du cœur les commande et que
comme vous le pensez en conscience et votre conscience me l'a redit à haute voix le soir où j'ai reçu votre lettre, il y a dans
le cœur plus de dix mille êtres, et JE n'est qu'un être, et il y en a d'autres, mais les hommes ne le comprendront jamais…
La lettre s'achève sur cette pathétique exhortation :
Venez me voir car il faut en effet que je retrouve ma liberté
[Artaud ne
sera libéré qu'un an plus tard].
Le dédicataire de cette lettre est très probablement René de Solier, et non pas Frédéric.
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