ADER. Paris. Femmes de lettres et manuscrits autographes - page 305

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Il s’agirait, si l’on suivait ses idées, « d’une révolution musicale absolue, d’un renversement de la règle, et d’une invasion de
romantisme musical, bien autrement effrayante que celle du romantisme littéraire ». Mais il faudrait pour cela « l’éclosion d’un
génie musical de premier ordre qui se tournerait vers ce sauvage horizon de l’ancien art populaire, pour ouvrir un horizon nouveau
à l’art en général. Ce génie éclora-t-il avant que la musique populaire soit tout à fait morte ? savoir ! »
On peut certes transcrire les rythmes, « c’est une arithmétique de l’oreille si l’on peut ainsi parler. Ce sont les tonalités, les
intervalles de son qui pour être appréciés et rendus exactement auraient besoin d’un nouveau chiffre musical. Nos oreilles se sont
épaissies et abruties en s’habituant aux intervalles absolus de la gamme moderne ». Elle donne en exemple les bayadères, venues
à Paris en 1839, qui chantaient « par quarts de ton, demi-quarts de ton, et peut-être par intervalles plus menus encore. On a cru
qu’elles chantaient faux […] Elles chantaient pourtant et sans jamais varier leur thème qui certainement avait sa règle absolue,
plus savante ou tout au moins plus étendue et plus riche que la nôtre ». De même pour les Indiens Ioways, « dont la gamme était
insaisissable pour mes oreilles […] Ainsi des laboureurs et des porchers de chez nous qui, lorsqu’ils ne répètent pas les chansons
modernes, mais lorsqu’ils disent leurs chants primitifs, que je crois d’origine gauloise, procèdent par intervalles de tons beaucoup
plus divisés que les nôtres »...
Elle en vient à « la querelle du
réalisme
», qu’elle n’a pas suivie de sa campagne. Et elle met en garde Champfleury contre la
critique : « Prenez garde, avant de ramasser un gant quelconque, de bien savoir, si c’est un gant, c’est peut-être un chiffon, l’ombre
d’un chiffon, comme tout ce qui sort du feuilleton critique, à quelques exceptions près. La critique en somme, n’existe pas. Il y
a quelques critiques qui ont beaucoup de talent, mais une école de critique, il n’y en a plus. Ils ne s’entendent sur le
pour
et le
contre
d’aucune chose. Ils vont sabrant ou édifiant au hasard, ils vont comme va
le monde
. Avant de les provoquer, forcez-les de
bien s’expliquer. Je crois que vous les embarrasserez beaucoup. Je vois chez eux beaucoup d’esprit, de savoir, d’habileté. Ils sont
ingénieux, ils ont du style, mais de tout cela il ne sort pas l’ombre d’un enseignement »...
Quant au terme de musique
populaire
, il est trop vague : « je crois qu’il faudrait dire musique rustique, ou musique primitive. […]
Il est possible que Pierre D
UPONT
ait le sens populaire moderne, en ce qu’il y a de la franchise, du nerf, de la facilité dans ses airs :
mais il n’y a pas la moindre teinte, le moindre reflet de la chose dont je vous parle. Il est tout français et pas du tout gaulois. Les
Gaulois s’en vont. Leurs derniers souffles sont encore dans la poitrine de quelques paysans mais ils chantent une langue musicale
qu’on ne peut plus ou qu’on ne voudrait plus comprendre. Vous croyez à des luttes nouvelles, à des passions futures ou prochaines
sur le terrain de l’art. Hélas, je n’y crois plus, mais ne m’écoutez pas. Vous avez l’avenir devant vous. »
Correspondance
, t. XII, n°6151 (p. 263).
Vente C
HAMPFLEURY
(29 janvier 1891, n° 141).
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