ADER. Paris. Femmes de lettres et manuscrits autographes - page 309

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pour rien sa personnalité : B
ARBÈS
. Chez les artistes
et les lettrés, je n’ai trouvé aucun fond. Tu es le
seul avec qui j’aie pu échanger des idées autres que
celles du métier. Je ne sais si tu étais chez Magny
un jour où je leur ai dit qu’ils étaient tous des
Messieurs
. Ils disaient qu’il ne fallait pas écrire pour
les ignorants, ils me conspuaient parce que je ne
voulais écrire que pour ceux-là, vu qu’eux seuls ont
besoin de quelque chose. Les maîtres sont pourvus,
riches et satisfaits. Les imbéciles manquent de
tout, je les plains. Aimer et plaindre ne se séparent
pas. Et voilà le mécanisme peu compliqué de ma
pensée. J’ai la passion du bien, et point du tout
de sentimentalisme de parti-pris. Je crache de
tout mon coeur sur celui qui prétend avoir mes
principes et qui fait le contraire de ce qu’il dit. Je ne
plains pas l’incendiaire, et l’assassin qui tombent
sous le coup de la loi. Je plains profondément la
classe qu’une vie brutale, déchue, sans essor et sans
aide réduit à produire de pareils monstres. Je plains
l’humanité, je la voudrais bonne, parce que je ne
veux pas m’abstraire d’elle, parce qu’elle est moi,
parce que le mal qu’elle se fait me frappe au coeur,
parce que sa honte me fait rougir, parce que ses
crimes me tordent le ventre, parce que je ne peux
comprendre le paradis au ciel ni sur la terre pour
moi tout seul. Tu dois me comprendre, toi qui es
bonté de la tête aux pieds »...
Elle voudrait aller à Paris pour retrouver Flaubert :
« Mais je n’ose pas dépenser de l’argent, si peu que
ce soit, quand il y a tant de misère »... Elle parle de
sa petite-fille A
URORE
qui l’occupe beaucoup... Elle
conclut : « je t’aime, c’est la conclusion à tous mes
discours ».
Correspondance
, t. XXII, n° 15729 (p. 594) ;
Correspondance Flaubert-Sand
(éd. A. Jacobs),
p. 356.
Ancienne collection du Colonel Daniel S
ICKLES
(VII, n° 2900, 15 mars 1991).
544.
Émile H
ERZOG
, dit André MAUROIS
(1885-1967) écrivain.
M
ANUSCRIT
autographe signé « André Maurois »,
Grandeur de George Sand
, [1954] ; 3 pages in-4.
500/600
T
RÈS
BEAU
TEXTE
SUR
G
EORGE
S
AND
, avec ratures et corrections, pour le numéro spécial sur G
EORGE
S
AND
de la revue
Europe
(juin-
juillet 1954, n° 102-103) ; il est dédicacé à Jean D
AVRAY
, « en le priant d’écrire pour m’éclairer
Petitesse de George Sand
» [Jean
Davray avait écrit en 1935 un livre sur
George Sand et ses amants
].
« Il y a des écrivains qu’il faut chercher tout entiers dans leurs œuvres […] Le cas de George Sand est différent. Non que l’œuvre
romanesque soit sans beauté. Loin de là.
Consuelo
demeure un grand livre et un sublime caractère de femme. Les romans paysans
(
François le Champi, La Mare au Diable, La Petite Fadette, Les Maîtres Sonneurs
) plaisent encore par les qualités qui enchantaient
Proust : le caractère épique du sujet, la noble simplicité du style. Les premiers essais romanesques eux-mêmes :
Indiana, Lélia
,
gardent un intérêt historique. Mais les textes qui font de George Sand un grand écrivain, ceux dont aujourd’hui encore la fraîcheur
nous apparaît intacte, sont les lettres, le journal intime et l’
Histoire de ma vie
. […] Quand George Sand est arrachée aux poncifs de
1830 par la violence de ses sentiments, et surtout quand, au lieu d’écrire pour les critiques et les camarades, elle s’abandonne à sa
méditation pour elle-même et quelques amis, soudain son style change. Déjà les
Lettres d’un voyageur
ont, par endroits, leur beauté
lyrique, mais plus encore les lettres personnelles. Je n’hésite pas à penser, ni à dire, que George Sand est la première épistolière
française. […] George Sand écrit parce qu’elle a des idées ou des sentiments à exprimer. La phrase épouse étroitement la passion.
[…] Et quelle variété de registres ! […] Dans la correspondance avec Flaubert elle atteint à une sorte de sublime dans le familier
qui est inimitable. Comiques et affectueuses quand elle les veut telles, ces lettres s’élèvent aux plus hautes idées politiques et
philosophiques quand elle entreprend de corriger le pessimisme de
son vieux troubadour
. […] Quant aux lettres politiques, à celles
par lesquelles, après le coup d’état, elle a demandé la grâce de tant de condamnés, à celles qu’elle a courageusement écrites à
Barbès emprisonné, à celles qui, après la défaite, rappellent ses amis à l’espérance, ce sont des modèles de fermeté de pensée. […]
La vieillesse robuste et sage de George Sand inspire un sentiment de respect ému. […] En un temps où les femmes demeuraient
dans une sorte d’esclavage, elle a lutté pour leur assurer la franchise de leurs corps et de leurs sentiments. Par là elle a exercé sur
les mœurs une influence salutaire. En un temps où le suffrage universel n’existait pas, elle l’a réclamé pour le peuple, ainsi qu’une
plus juste répartition des biens »…
Vente 15 mai 2001
(n° 147).
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