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Notre tableau est une découverte importante qui illumine

d’un jour nouveau la carrière de Tiepolo à Würzburg, ses

relations avec ses mécènes et ses rapports artistiques avec

son fils Giandomenico. C’est un important ajout à l’œuvre de

Giambattista Tiepolo qui vient avec surprise se poser comme le

pendant de

L’Allégorie de Flore

dans une collection américaine

(vente anonyme, Londres, Christie’s, 2 décembre 2008, n° 40,

reproduit en couleur). Notre tableau révèle une face plus

intime et privée de l’œuvre du plus grand représentant du

Settencento vénitien.

Notre tableau est peint par Giambattista Tiepolo lors de son

séjour àWürzburg entre 1750 et 1753. Il travaille essentiellement

à la décoration intérieure de la nouvelle résidence épiscopale

du prince-évêque Carl Philippe von Greiffenclau.

Carl Philipp Reichfreiherr von Greiffenclau zu Vollraths (1690

– 1754) intègre très tôt le cercle restreint des religieux de

Würzburg et de Mayence. Il est recteur de l’université de

Mayence de 1739 à 1749, avant de se voir attribuer la charge

de prince-évêque de Würzburg (comme son oncle Johann

Philipp von Greiffenclau) de 1749 à sa mort en 1754.

Dès son entrée à Würzburg, Greiffenclau organise

régulièrement de grandes fêtes et beaucoup de réceptions

auxquelles il convie toute sa famille de laquelle il tient à rester

proche. Il fait venir sa sœur Marie Anna Sophia, auprès de lui

à la Résidence. Les sources anciennes nous disent qu’après

un long séjour dans la Résidence, Marie Anna Sophia laisse

à son départ en 1752, quelques cadeaux à Tiepolo pour le

remercier de ses nobles peintures. Elle lui laisse des objets

en argent, un miroir, une lampe etc.

1

Malheureusement les

archives concernant ces peintures de Tiepolo ont disparu.

Plusieurs chanoines, cousins et neveux du prince-évêque

Greiffenclau se sont succédés au chapitre de la cathédrale. Le

chanoine qui détenait notre tableau est en effet le cousin issu

de germain du prince-évêque. Nous savons par un inventaire

de 1820 que notre tableau appartenait à un des chanoines du

chapitre de la cathédrale de Würzburg proche du prince-évêque.

Notre tableau répond-il à une commande du prince-évêque

Greiffenclau ? Ce dernier l’aurait-il donné à son cousin le

chanoine ? Ou bien est-ce le chanoine de la cathédrale de

Würzburg, familier du prince-évêque, qui commande le

tableau directement à Tiepolo ? Ou encore notre tableau est-il

une de ces « nobles peintures » que Tiepolo donne à la sœur

du prince-évêque et tante du chanoine, Marie Anna Sophia.

Présenté aujourd’hui, notre tableau est une incroyable

découverte. Il vient compléter les connaissances de l’œuvre

de Tiepolo et se confronter à la gravure de Giandomenico.

Dans son thème et sa manière, notre tableau se

rapproche des têtes de rabbins, savants, et philosophes, qui

depuis Rembrandt marquent la peinture occidentale.

Dans ces

Têtes d’expressions

, l’exagération des traits

du visage, la présence d’accessoires et le traitement pictural

sont destinés à communiquer les expressions intérieures.

La représentation de ses têtes permet à l’artiste de s’exprimer

librement, de manière purement imaginaire et théâtrale.

Ils constituent à la manière des

Figures de fantaisies

de Fragonard des morceaux de bravoure de peinture pure.

Notre tableau est une figure de fantaisie et l’exemple principal

dont s’inspire Tiepolo est bien l’œuvre de Rembrandt diffusée par

la gravure. Entre autres exemples significatifs, nous le

rapprochons de

l’Homme barbu en costume de fantaisie

2

, de

l’Homme en costume oriental

3

et du

Buste de vieil homme avec un

béret et une fourrure

4

. L’influence de Rembrandt, de ses figures

de philosophes et d’orientaux, se manifeste non seulement

dans le choix du thème, mais aussi dans les effets utilisés par

le peintre : une matière picturale expressive, des coloris dorés

et une texture tangible, comme celle que l’on retrouve pour

la fourrure et les traits du visage de notre modèle. Toutes les

expressions sont peintes. La force de notre personnage

transparait dans les coups de pinceau, sa voix s’entend dans

cette façon de peindre la bouche et les lèvres de notre modèle.

Ses yeux sont aussi vifs que ses rides sont marquées.

Comme les

Têtes

de Rembrandt qui peuvent être considérées

comme des portraits de son père

5

ou des portraits de

personnages historiques

6

, les figures d’expressions de Tiepolo

peuvent recevoir un double sens. Connaissant le pendant de

notre tableau,

Jeune femme aux fleurs

, nous pouvons alors le

sortir de cette série. Tous les deux, de grandes dimensions,

se répondent tels des acteurs de théâtre. Notre vieil homme

donne sa bourse à la jeune femme. Ils peuvent aussi être

pris pour des personnages de fables ou des Allégories, des

personnifications de l’Été et de l’Hiver.

1. Protokolle des fürstbischofwürzburgischen Hoffouriers Johann Christoph Spielberger, 1750-1752, fol. 393 v.

« für etliche gemahlte Bilder [...] 1 Spiegel mit silbernem

Rahmen, 2 silberne Leuchter, je dito Putzscheer, 1 silberne Zahnpulverpüchs, 1 dito für Seifenkugel, 1 dito für Schwamm, 1 silbernes Barbierbecken »

2. Toile, 71 x 61 cm, conservée au musée de l’Ermitage à Saint Petersbourg (Voir L. J. Slatkes,

Rembrandt. Catalogo completo,

Florence, 1992, n° 228, reproduit en couleur).

3. Panneau, 98 x 74 cm, conservé à la National Gallery of Art de Washington (Voir L. J. Slatkes,

op. sup.

, n° 232, reproduit en couleur).

4. Panneau, 22 x 18 cm, conservé au Tiroler Landesmuseum Ferdinandeum d’Innsbruck (Voir L.J. Slatkes,

op. sup.

, n° 277, reproduit en couleur).

5.

Demie figure d’homme avec la fraise et un chapeau à plume

(Panneau, 83,5 x 75,5 cm), conservé au Art Institute of Chicago (L.J. Slatkes,

op. sup.

, n° 280, reproduit en couleur).

6. Comme

Homme au costume de fantaisie et une veste de fourrure

(Toile, 114 x 87 cm), conservé au Toledo Museum of Art (L.J. Slatkes,

op. sup.

, n° 167, reproduit en

couleur).