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Il se distingue, en organisant des concerts, afin de lever des
fonds pour l’armée polonaise en exil. Puis s’engage dans
l’armée américaine après Pearl Harbor, ce qui lui permet
d’acquérir la nationalité de son pays d’accueil.
En 1945, on le retrouve en Allemagne où il est rattaché au
célèbre « MFAA » (monuments, fine arts and archive program»),
dans lequel il jouera un rôle essentiel.
Reprenant dès 1947 une brillante carrière de soliste,
particulièrement aux Etats-Unis, son nom devient indissociable
des œuvres de Bach et Chopin. En 1965, il met un terme à sa
carrière de soliste, mais continue de diriger la saison musicale
de Royaumont ou d’enseigner la musique en reprenant
l’héritage de Nadia Boulanger. Il crée les Journées Musicales
de Langeais. Il s’éteint à Blois en 1997. Ses mémoires ont été
publiés en 1999 sous le titre de Dodascalies.
Son frère Stefan Freund, représenté à droite fut également
officier dans l’armée américaine, durant la deuxième guerre
mondiale. Parce que Stefan ne pouvait prononcer le nom
de son jeune frère lorsqu’il était enfant, il prit l’habitude de
l’appeler Doda. Plus tard, Conrad Freund accola donc ces
deux prénoms pour former son nom d’artiste.
Cette oeuvre était demeurée inédite jusqu’à ce jour, hormis
une exposition à Venise en 1938. Elle provient directement de
l’entourage de Doda Conrad. La petite balafre sur le visage de
Stefan Freund fut causée par un attentat antisémite lors de
l’exposition. La famille a depuis décidé de conserver la toile
telle quelle.
ANALYSE DE L’OEUVRE
Stylistiquement, ce tableau est un carrefour : entre deux
manières du peintre, entre deux époques de l’histoire où la
césure de la guerre de 14 va s’avérer définitive, entre deux
tentations, celle du naturalisme sans concession et celle de
l’impression évanescente. Sous ses aspects plus sages,
plus rangés, que les portraits mondains, pour lesquels le
nom de Blanche est actuellement célébré, cette peinture qui
peut sembler académique de prime abord, est en réalité très
moderne, par l’approche intimiste de l’apparence et de la
personnalité des modèles.
C’est aussi une fine approche psychologique. On y trouve
la virtuosité chromatique et la touche impressionniste du
Blanche des années 1890/1900, mais aussi l’annonce des
caractéristiques plus synthétiques de sa manière d’après la
Première Guerre.
La densité charnelle des modèles est en proportion de leur
maturité, l’artiste laissant à l’enfance un parfum de flou, tout
en saisissant avec acuité la personnalité et le destin des êtres
qu’il représente.
Comment ne pas être frappé par ce regard d’une vive
intelligence de Doda enfant, déjà hors du contexte et
autonome? Et cette étrange association des trois corps qui
semblent s’épauler dans un ordre naturel et qui reflètent en
même temps l’éloignement inexorable ? Les regards divergent,
exprimant des essences si radicalement différentes, malgré
l’unité finalement artificielle du lien familial....
Portrait de contrastes complexes sous l’apparence familière
trompeuse d’un instantané académique, ce tableau est tout
sauf conventionnel. Il nous propose l’évocation d’un monde
enfoui, avec ses codes et ses conventions, mais laisse deviner
une destinée unique, dans son intensité psychologique
remarquablement saisie.




