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Les manuscrits de Valery Larbaud sont d’une rareté légendaire, le plus souvent détruits lors de la

première mise au net ou donnés sans retour à la NRF. Larbaud ne gardait que quelques pages

du brouillon de ses œuvres, « comme témoins ». Ce cahier contient deux nouvelles complètes

d’

Enfantines

,

Le Couperet

et

Rose Lourdin

, qui formeront les deux premiers récits de son remarquable

recueil de textes sur l’enfance. Ces deux nouvelles sont rédigées à la suite l’une de l’autre.

Rose

Lourdin

sera « étoffée » dans la version définitive publiée. A la fin du cahier, Larbaud établit lui-même

une liste des manuscrits d’

Enfantines

, dont il a gardé la trace, avec dates et détails. Ainsi lit-on : «

Le

Couperet

. Ecrit en 1909-1910, à Paris, Vichy, Valbois, Londres etc. Paru à

La Phalange

. Brouillon

détruit. Ce cahier contient le ms. ». Puis, « 

Rose Lourdin

. Commencé en 1910 à Paris. Ce cahier

contient le second ou troisième ms. La rédaction définitive a été achevée à Port-Erin (Ile de Man) le

lendemain du couronnement de Georges V. 1910. Premiers brouillons détruits. Ms définitif à la NRF

(?) [sic] Paru à la NRF ». L’auteur de

Fermina Marquez

devait sans doute prendre conscience du goût

de certains (« riches ») amateurs pour ses manuscrits en établissant cette liste.

C’est ce qu’indique clairement la lettre jointe à ce cahier, adressée au collectionneur Georges-

Emmanuel Lang, à la date du 18 novembre 1921. Larbaud avoue posséder peu de manuscrits de

ses œuvres. Il y évoque le sort de

Fermina Marquez

et d’« un manuscrit du

Petit Manuel d’idéal

pratique

, un ouvrage que j’ai écrit de 17 à 20 ans, que je n’ai jamais publié, dont j’ai détruit tous les

brouillons et manuscrits excepté ces deux pages (gardées comme « témoins ») et qui m’a servi

de base pour quelques unes des

Enfantines

 ». Finalement, Georges-Emmanuel Lang réussira à

acheter ces deux

Enfantines

qui figureront dans sa vente, en 1925, avec un autre manuscrit de

Larbaud,

Amants, heureux amants

, texte plus tardif, qui rejoignit successivement les collections

de Pierre Guérin, Du Bourg de Bozas et Bernard Malle.

Si les manuscrits de Larbaud sont déjà rares en eux-mêmes, ceux d’

Enfantines

le sont

particulièrement. Ce cahier formé de deux nouvelles entières des mythiques

Enfantines

, amplement

corrigées et raturées, constitue un remarquable témoin d’une des plus anciennes œuvres de

Valery Larbaud.

Enfantines

constitue le plus ancien projet littéraire de Valery Larbaud. Le sujet

de la nouvelle

Le Couperet

lui fut inspiré par une circonstance réelle remontant à sa sixième ou

septième année sans qu’il ait alors la moindre notion d’une expression littéraire. Mais le désir de

raconter cette histoire lui revint à maintes reprises au cours des années suivantes jusqu’à ses

dix-sept ans. Larbaud commença à cette époque la rédaction du

Petit Manuel pratique

narrant

les histoires d’un garçon de douze à quatorze ans qui découvre les contrariétés de l’amour et

l’incompréhension des adultes. L’épisode où le jeune héros se blesse volontairement avec une

lame donnera son titre à la nouvelle en devenir,

Le Couperet

. Larbaud travailla régulièrement à

cette nouvelle jusqu’à ses vingt-et-un ans puis l’abandonna. En 1910, il reprit sa nouvelle et la

termina, avec plusieurs autres, également commencées au lycée, dont

Rose Lourdin

. Les amours

enfantines de ces nouvelles sont racontées à travers un regard juvénile, attentif à certains détails

insignifiants au monde des adultes et dont les sentiments sont encore préservés du temps et de la

dégradation. Cinq de ces huit futures

Enfantines

(dont les deux nôtres) parurent en revue de 1909

à 1914. Le 27 juillet 1911, Valery Larbaud écrivait à André Gide, alors à Londres : « Dites moi ce que

vous pensez de

Rose Lourdin

. Je suis inquiet ». Lequel répondit : « J’aime immodérément

Rose

Lourdin

 ». La guerre retarda leur publication en volume. En 1918 les huit nouvelles furent éditées

sous le titre commun d’

Enfantines

, certaines légèrement remaniées depuis leur publication en

édition pré-originale. Elles furent l’objet d’une admiration immédiate de Gide et de Proust.

En février 1918, Valery Larbaud recevait une nouvelle lettre d’André Gide, dédicataire du

Couperet

 :

« vos exquises

Enfantines

me plongent dans un enchantement sans mélange. Je les lis et les relis

chacune. Entre toutes,

Le Couperet

me paraît une merveille et je me gonfle d’aise d’y voir attaché

mon nom ». Un an plus tard, Marcel Proust, qui avait cité le nom de Larbaud dès 1913 dans un

article du

Figaro

, lui envoyait un exemplaire de

Pastiches et Mélanges

, avec cet envoi : « A Valery

Larbaud, un admirateur d’

Enfantines

, qui, après un an, est encore un peu malade du

Couperet

 ».

RÉFÉRENCE : Valery Larbaud,

Œuvres complètes

, collection de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1958, p. 1224

et suiv.

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