La bibliothèque du Docteur Lucien-Graux était impeccable ; rien de
médiocre ne déparait l’ensemble varié de volumes imprimés et manuscrits,
d’autographes, de reliures de toutes les époques qu’il avait réuni avec une
patience et une sûreté sans égales. C’est que nul mieux que cet homme
toujours pressé, d’une activité dévorante, multiple, ne connaissait le calme
domaine des bibliophiles, ses richesses, ses secrets, ses pièges aussi : et les
amis auxquels il se plaisait à montrer ses merveilles ne savaient ce qu’ils
devaient admirer le plus, ou des objets eux-mêmes, ou des renseignements,
puisés aux meilleures sources, que leur communiquait le possesseur. On ne
le quittait jamais sans avoir appris quelque chose. Venait-il de faire une
trouvaille, aussitôt sa voix rapide résonnait au téléphone : « Avez vous un
instant ce soir ? Venez donc vite : je crois que cela en vaut la peine. »
Il raccrochait sans attendre la réponse : car cela valait toujours la peine.
Jean Porcher,
conservateur des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, 1946.
La bibliothèque du Docteur Lucien-Graux passe pour être l’une des plus
importantes du XX
e
siècle. Forte de plus de 10 000 ouvrages, elle couvrait
tous les domaines de la bibliophile, toutes les époques, les supports les plus
modestes et les reliures les plus prestigieuses. En 1948, la donation par
sa Veuve du testament autographe de Louis XIV aux Archives Nationales,
puis la dispersion en 9 ventes entre 1953 et 1956 de la bibliothèque ont
constitué l’un des évènements majeur de l’Après-Guerre pour les bibliophiles
du monde entier.
Le docteur Lucien-Graux est mort à Dachau, en octobre 1944, il y
a 70 ans cette année. Quel meilleur moyen d’entretenir la mémoire de
l’homme et du bibliophile aurait on pu trouver, que de disperser cette
année les livres et manuscrits de cette fabuleuse et mythique bibliothèque
scrupuleusement conservés jusqu’alors par ses héritiers.




