22. ROSSINI Gioacchino (1792-1868).
Lettre autographe signée
Gioacchino Rossini
adressée au
Vicomte Alcide de Beauchesne, Bologne, le 6 février 1830, 3
pages ½, in-folio.
300/500 €
« Monsieur Le Vicomte, De quelles expressions dois-je me servir pour vous
témoigner combien il m’a été possible de devoir retarder jusqu’à ce jour à vous
écrire, c’est-à-dire : à converser quelques instants avec celui auquel je dois tant de
reconnaissance pour les immenses bontés qu’il a daigné sans cesse avoir pour moi.
Vous penserez que votre Rossini est ingrat, ou pour le moins bien négligeant. Vous
penserez que les plaisirs seuls ouvrent tous ses moment ; que tout entier occupé de
frivoles amusements qui peuvent flatter son amour-propre, (quel homme n’en a
pas quelque légère dose ?) il oublie celui auquel il doit le plus penser ! Que je me
trouverai malheureux si je ne pouvais à l’instant faire évanouir de vos pensées
toutes ces réflexions qui sans doute n’ont pas manqué de se présenter à votre esprit
lorsque vos nombreuses occupations vous auront permis de penser à votre dévoué
et affectionné serviteur. Rossini payer d’ingratitudes vos obligeants procédés !
Rossini néglige de vous écrire pour ne s’occuper que de vos vains plaisirs ! Cela
ne pouvait être. Rossini fut malheureux, et souffrant voilà Mons. Le Vicomte,
(…) qu’il a été obligé de mettre à vous donner de ces nouvelles. Maintenant je
vais vous détailler en peu de mots ce qui m’est arrivé depuis que je suis ici. J’ai
trouvé tant d’affaires à régler, et je fus affaibli d’une si nombreuse quantité de
visite squ’il me fut impossible de trouver un quart d’heure de solitude. Je revins en
ville, chassé par la neige qui paraissait devoir nous engloutir. Aussitôt arrivé, ma
douce Femme devint très souffrante et finit par tomber très sérieusement malade.
Depuis quelques semaines seulement elle commence à être un peu mieux, mais son
essor mue, excessivement affaibli, la rend encore convalescente. Les inquiétudes,
les appréhensions, la compagnie que j’ai du lui faire auraient été des (…) plus
que suffisantes pour que mon aimable Vicomte, au lieu de me gronder, m’eut
plaint de tout son cœur du retard que cet accident apportait à l’informer de ma
personne. Le sort n’aurait pas dû, après m’avoir tourmenté de la sorte, faire trêve
à sa rigueur ? Mais non ; pour me faire encore plus regretter le bonheur parfait
dont je jouissais lorsque j’étais près de vous, il m’accable de toute sa rigueur, et je
tombais moi-même malade. Combien je me trouverais consolé de tous mes maux
passés si j’apprenais que sensible à ce surcroit de déplaisirs, vous vous attendrissez
et qu’au lieu d’être disposé à me gronder, le plus aimable pardon m’est dessiné !
Ah ! Pour le hâter que ne pouviez vous voir votre pauvre Rossini dans le négligé
qu’il était obligé d’adopter dans sa convalescence et qui épouvantaient tout ces
belles marquises de Bologne qui venaient le voir et s’en retournaient en s’écrivant :
Povero Rossini quanto è brutto ! Mais j’oublie en cherchant à me justifier que
j’abuse de votre patience, et je me doute qu’il faut en avoir quelque bonne dose pour
lire mon galimatias de français. Maintenant s’anticipe ce pardon si consolateur,
et tout entier occupé de ce qui peut vous être agréable je veux vous consacrer la
plus importante partie de mes pensées, et plus de la moitié de mes occupations. Je
vous confie que je soupire, et que je suis amoureux, ne devrai-je pas me trouver
honteux de ce nouvel objet d’une si ardente flamme puisque le beau sexe n’y entre
pour rien ? Un être du genre masculin … quelle honte ! Quel crime ! et pourtant
c’est à vous cher Vicomte que je recommande pour obtenir au plus vite l’objet si
désiré. A vous je m’écrie : mon Poème ! de grâce envoyez-moi mon cher Poème !
ne s’agit-il pas, en lui donnant tous mes soins de plaire à vous Mons. Vicomte ?
Quel redoublement d’amour pour lui cette pensée me donne ! Je l’attends donc
avec la plus grande impatience. Si quelque chose au monde pourra me rendre
heureux, loin de vous ce sera d’apprendre que votre santé est bonne, et que vous
jouissez d’un bonheur sans nuage. J’apprendrai aussi avec une douce satisfaction
que notre cher Théâtre, auquel se prens tant d’intérêt, va toujours prospérant.
Ma patrie m’est bien chère ! ne me donna-t-elle pas le jour ? La France, combien
je l’aime ! ne lui dois-je pas la plus vive reconnaissance ? Plein de ces sentiments
auxquels je joins la tendre affection que je vous porte, daignez agréer, mon cher
Monsieur le Vicomte les respectueux hommages de Votre très humble tout dévoué
et reconnaissant serviteur ! Gioacchino Rossini. Devrais-je vous prier de vouloir
bien me rappeler au souvenir de l’aimable Comtesse Duquayla. Si ce nom n’est
pas bien écrit veuillez de grâce ne pas lui dire, car ne pas savoir écrire le nom
d’une belle dame comme elle peut s’appeler un péché mortel ».
23. ROSSINI Gioacchino (1792-1868).
Lettre autographe signée
Gioacchino Rossini
adressée au
Vicomte Alcide de Beauchesne, (sans date), 3 pages, in-folio.
300/500 €
« Monsieur le Vicomte, La demande que vous m’avez faite de m’engager
à composer un opéra pour l’année prochaine est une preuve bien flatteuse de
l’intérêt que vous daignez accorder à mes ouvrages. Je vous dois d’ailleurs tant
de reconnaissance pour vos bontés, je suis pénétré d’une gratitude si vive pour la
protection si haute et si généreuse d’un monarque ami des arts, que je regarde
comme une obligation de m’expliquer avec franchise sur les causes qui me font
hésiter à faire une promesse que les sentiments dont je suis animé rendraient
d’ailleurs bien naturelle et bien simple. Depuis que vous avez pris la Direction
des Beaux-arts, Monsieur Le Vicomte, il y a eu sans doute des améliorations
incontestables dans doute les branches de la partie musicale. Le Conservatoire
organise d’une manière plus régulière, l’Académie Royale mieux administrée, les
artistes encouragés, et récompensés. Voilà sans doute bien des sujets de satisfaction
pour vous et de reconnaissance pour vos subordonnés. Toutefois j’oserai vous
le dire, de nombreux abus existent encore dans ces divers établissements ; une
réorganisation presque totale serait indispensable sous bien des rapports et elle ne
peut être effectuée qu’à l’aide du temps, d’une administration éclairée ex parte,
qui jouirait de toute l’indépendance nécessaire pour opérer le bien que chacun
désire. J’ai vu d’assez près, Monsieur Le Vicomte, les rouages de l’administration
des Beaux-arts pour être convaincu que le Directeur lui-même ne pourrait, avec
le meilleur vouloir, exécuter tous les projets dont il reconnaît l’utilité. L’état des
choses actuel n’offre donc pas aux artistes les garanties satisfaisantes et cependant
des bruits plus charmants encore viennent troubler la sécurité dont ils jouissaient
à l’ombre de votre sollicitude pour eux. On annonce que l’Académie Royale de
musique ne serait plus à la charge de la maison du Roi : on fait craindre même que
de fausses idées de concurrence ne livrent cet établissement à des industries. Ainsi
se trouve ébranlée la confiance des compositeurs, des auteurs, des acteurs et d’un
grand nombre d’employés qui peu rassurés par des exemples voisins redoutent de
voir périr dans ces innovations périlleuses des traits conquis par de longs travaux.
Quant à moi, Monsieur le Vicomte, si j’ai refusé, si je refuse encore chaque
année les engagements les plus avantageux qui m’arrivent surtout d’Angleterre
et d’Autriche, c’est parce que j’ai senti vivement toute la délicatesse des procédés
qui m’ont accueilli en France, c’est parce que j’ai été surtout profondément touché
des titres honorables que je dois à la magnificence de S. M. ; je puis ajouter aussi
sans crainte d’être accusé de flatterie, que j’ai été fier des relations pleines de bonté
que vous avez bien voulu me prouver. Mieux que par forme, Mons. le Vicomte
vous savez combien peu de vues d’intérêt ont guidé ma conduite, mais dans un
moment où l’administration est incertaine, où l’on peut craindre des changements
qui paraissent peu rassurants pour la prospérité des artistes et par conséquent
pour les progrès de l’art, vous sentirez, Mons. le Vicomte, qu’il y aurait de la
témérité de ma part à prendre un engagement que je ne contracterais aujourd’hui
que par mon respect et mon dévouement pour les personnes. Je ne saurais donc
au milieu de cette incertitude, Mons. le Vicomte, engager en rien ma parole.
Indépendant par caractère et par position, j’ai cru pouvoir vous exprimer mes
craintes de l’avenir de l’art musical dans un pays que le suffrage du public, la
bienveillance de l’autorité et surtout l’auguste protection d’un monarque béni
de tous, m’ont presqu’accoutumé à regarder comme le mien. Agréez, je vous prie
Mons. Le Vicomte l’hommage du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être
Votre très humble et très obéissant serviteur. Gioacchino Rossini ».
24. ROSSINI Gioacchino (1792-1868).
Maison dans la campagne.
Dessin à l’encre brune, signé en bas à droite G. Rossini.
A vue : H. : 8, 5 cm – L. : 12, 5 cm.
200/300 €
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