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C’est vers 1490 qu’Alde, alors âgé de quarante ans, conçut son avenir d’éditeur comme

voué au service d’une publication incontestable et systématique du patrimoine littéraire,

scientifique et philosophique des Grecs et des Latins. Il s’assura le soutien d’Andrea

Torresani, l’un des éditeurs vénitiens les plus célèbres depuis les années 1480 et dont

il épousera la fille en 1500. Torresani lui procura la maîtrise technique susceptible

de répondre au génie du graveur de caractères Sébastiano Griffo. L’impression en grec

représentait en effet le cauchemar des imprimeurs : la perpétuelle variation des accents,

pouvant transformer du tout au tout le sens d’un mot, rendait nécessaire la possession

d’une importante quantité de caractères. Sébastiano Griffo les grava avec excellence.

Cette maîtrise représentait cependant un coût et un pari financier considérables.

Alde sut associer à son projet son ancien élève Alberto Pio, Prince de Carpi. L’argent

était géré par la plus grande banque vénitienne de l’époque, la banque Agostino.

Surtout, Alde sut réunir autour de lui un prestigieux comité éditorial qui contribua

régulièrement aux différentes éditions. Il était constitué d’intellectuels de grande culture.

Pietro Bembo, élevé au cardinalat par Paul III, fut l’artisan des éditions de Pétrarque

et de Dante et à ce titre l’un des pères fondateurs de la langue italienne moderne.

Alde imprima pour lui en février 1495 le

De Aetna

qui demeure un joyau inégalé

de la typographie. Giorgio Valla, outre de nombreux services éditoriaux, fut en 1500

l’auteur d’une véritable encyclopédie des sciences. Le franciscain Urbano Valeriani

publia en janvier 1497 chez Alde une grammaire grecque indispensable aux étudiants :

il fallait en effet, non seulement publier les textes des classiques, mais aussi donner aux

enseignants les instruments pédagogiques nécessaires à la diffusion du nouveau savoir.

L’anglais Thomas Linacre participa à l’un des rares textes purement scientifiques d’Alde

imprimé en 1499 et contribua, peut-être de loin, à la publication de l’édition princeps

d’Aristote. Il fut en tout cas le fondateur de l’enseignement du grec en Angleterre

et son université conserve encore de nos jours l’un des plus beaux exemplaires

de l’œuvre du Stagyrite. Erasme fut l’auteur d’une ode à la louange de l’Angleterre avant

d’être hébergé par Alde qui publia ses

Adages

. Le poète et sénateur de Venise Andrea

Navagero travailla sur les éditions aldines de Lucrèce et Ovide (1516) avant de devenir

l’un des premiers conservateurs de la Marciana. Il faudrait encore rappeler les rôles

de Lorenzo Maioli et Niccolo Leoniceno, ou de Girolamo Aleandro qui devint cardinal

en 1531.

Jean Lascaris comme le célèbre Marcus Musurus furent, avant et avec Alde,

les propagateurs de la culture grecque en Occident. Les presses aldines doivent tant à

ce dernier qu’il revendiquera, dans une préface à la grammaire posthume d’Alde Manuce

(1515), un rôle de tuteur pour l’avenir. En 1500, ce comité de rédaction devint une

Académie reconnue par l’empereur Maximilien - on se saluait en grec, on dînait au coin

du feu en causant de poésie, de grammaire et de philosophie. Chaque mois, les presses

aldines publiaient un volume imprimé à mille exemplaires comme le précise la préface

de l’Euripide de 1503. Alde Manuce, son comité éditorial, leurs savantes et élégantes

publications furent ainsi au fondement de ce que l’on a plus tard appelé la République

des Lettres des XVI

e

et XVII

e

siècles, soit la toute première véritable communauté

scientifique moderne et internationale.

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