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15.

André BRETON

(1896-1966).

M

anuscrit

autographe,

Interview d’

Opéra

(André Parinaud

)

, [24] octobre

1951 ; 2 pages in‑4, avec de nombreuses ratures et corrections.

3 000 / 3 500 €

I

ntéressant

entretien

sur

l

état du mouvement

surréaliste

, en réponse à huit questions d’André

P

arinaud

.

I. Au sujet de l’éventuelle création d’une revue, Breton regrette « le temps où les frais occasionnés par le lancement

d’une revue pouvaient être assumés par l’ensemble de ses collaborateurs, chacun d’entre eux y contribuant dans

la mesure de ses moyens. Ce fut le cas pour

La Révolution Surréaliste

et pour

Le Surréalisme A.S.D.L.R.

Du moins

l’indépendance totale était garantie ». Des éditeurs leur ont fait des propositions, mais les surréalistes restent hésitants,

« parce qu’elles tendraient à la réalisation d’une revue “d’art” alors que le surréalisme, aujourd’hui comme hier, ne

saurait pleinement s’accommoder que d’une revue de combat. L’affirmation du surréalisme comme mouvement

toujours vivant a contre elle une conjuration de forces puissantes et organisées », qui veulent le limiter aux deux

dernières guerres et le définissent aujourd’hui par « ce qu’il a été »...

II. Breton déplore la perte de liberté dans l’art, la disparition de nombreuses jeunes revues et d’éditeurs indépendants

d’avant-garde : « Là comme ailleurs c’est la victoire assurée des trusts. […]. Dans ces conditions il est douteux que

des œuvres correspondant à ce qu’ont été dans leur temps les premiers

B

orel

ou les premiers

J

arry

pourraient voir le

jour. Il n’est pas plus évident, en raison des conditions faites aujourd’hui à l’art, qu’un égal de

G

auguin

ou de

D

aumier

pourrait percer ». Il dénonce la spéculation des galeries d’art, qui faussent « le rapport entre l’artiste et l’amateur » :

les œuvres de

M

atisse

, R

ouault

, U

trillo

, P

icasso

« bénéficient – et pâtissent – d’une outrageante enflure publicitaire

à laquelle ils sont inexcusables de se prêter » ; quant aux novateurs, on leur impose la seule voie du « non-figuratif »…

III. Breton se réjouit cependant de l’abolition de nombreux tabous, mais observe que « la liberté d’expression est

limitée plus qu’autrefois et par des moyens beaucoup plus savants, qui ne dépendent pas des pouvoirs officiels »…

IV. Puis il fustige le Parti Communiste et son influence dans les milieux artistiques : « Les staliniens ont beaucoup

d’organes. […] La liberté d’expression ne peut être reconquise tant que se maintient le contact avec ceux qui l’ont

aliénée »…

V. Les staliniens n’opèrent pas tant la censure en empêchant l’artiste de publier ou d’exposer, mais « en organisant

autour de lui le silence ou en l’ensevelissant sous des commentaires

à côté

 »...

VI. Breton se félicite cependant d’une évolution du goût du grand public : auparavant, « le goût des œuvres de

qualité n’excédait pas les limites d’un petit nombre de “chapelles”.

R

imbaud

et

M

allarmé

, voire

B

audelaire

et

N

erval

,

étaient tenus par le public à grande distance ; lazzi sur

S

eurat

, gorges chaudes sur le douanier

R

ousseau

. On n’en est

heureusement plus là ». Il regrette toutefois, en partie à la suite de la « résistance », une « véritable inflation poétique »

et « une réhabilitation de la pire “poésie de circonstance” »…

VII. Sur l’avenir du mouvement, les perspectives ne changent pas. « Une plus grande émancipation de l’esprit et non

une plus grande perfection formelle doit demeurer l’objectif principal », grâce à des œuvres au « pouvoir

alertant

 »,

comme celles d’

A

bellio

et Malcolm de

C

hazal

,

Le Visage de feu

de J.-L.

B

ouquet

pour le fantastique, les romans de

Maurice

R

aphaël

, au théâtre

Le Roi Pêcheur

de Julien

G

racq

et

Monsieur Bob’le

de Georges

S

chéhadé

, et l’étonnante

poésie à dire de Jean

T

ardieu

, etc.

VIII. « L’essentiel, pour le surréalisme, serait de pouvoir s’exprimer régulièrement, d’une manière globale. Ses

incursions dans les différents domaines seraient ainsi rendues beaucoup plus sensibles ». Un numéro spécial de

L’Âge

du cinéma

donnera bientôt « le pouls actuel du surréalisme » dans ce domaine, en attendant une publication surréaliste

sur l’architecture...