Previous Page  172 / 244 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 172 / 244 Next Page
Page Background

395

170

Citons le début de ce texte d’après le

manuscrit.

« Notre recherche nous a menés à ce point

de reconnaître que l’automatisme de répétition

(

Wiederholungszwang

) prend son principe dans

ce que nous avons appelé l’

insistance

propre de

la chaîne signifiante. Cette notion elle-même

nous l’avons dégagée comme corrélative de

l’

ex-sistance

(soit : de la place excentrique) où

il nous faut situer le sujet de l’inconscient si

nous devons prendre au sérieux la découverte

de Freud. C’est, on le sait, dans l’expérience

inaugurée par la psychanalyse qu’on peut saisir

par quels biais de l’imaginaire vient à s’exercer,

pour porter jusqu’au plus intime de l’organisme

humain, cette prise du

symbolique

.

L’enseignement de ce séminaire est fait pour

soutenir que ces incidences imaginaires, loin

de représenter l’essentiel de notre expérience,

n’en livrent rien que d’inconsistant, sauf à être

rapportées à la chaîne symbolique qui les lie et

les oriente. […]

C’est pourquoi nous avons pensé à illustrer

pour vous aujourd’hui la vérité qui se dégage

du moment de la pensée freudienne que nous

étudions, à savoir que c’est l’ordre symbolique

qui est pour le sujet constituant, en vous

démontrant dans une histoire la détermination

majeure que le sujet reçoit du parcours d’un

signifiant. […] nous avons pris notre exemple

dans l’histoire même où est insérée la dialectique

.../...

concernant le jeu de pair ou impair, dont nous avons le plus récemment tiré profit. Sans doute n’est-ce pas par hasard

que cette histoire s’est avérée favorable à donner suite à un cours de recherche qui y avait déjà trouvé appui.

Il s’agit, vous le savez, du conte que Baudelaire a traduit sous le titre de la lettre volée. À une première approximation,

on y distinguera un drame, de la narration qui en est faite et des conditions de cette narration.

On voit vite au reste ce qui rend nécessaire une telle composition chez un auteur à la délibération duquel elle

n’a pu échapper. La narration double en effet le drame d’un commentaire sans lequel il n’y aurait pas de mise en

scène possible. Disons que l’action en resterait à proprement parler invisible de la salle, – outre que le dialogue le

serait expressément et pour les besoins mêmes du drame, vide de tout sens qui pût s’y rapporter pour l’auditeur –,

autrement dit que rien du drame ne pourrait apparaître ni à la prise de vues, ni à la prise de sons, sans l’éclairage

à jour frisant, si l’on peut dire, que la narration donne à chaque scène du point de vue qu’avait en le jouant l’un

de ses acteurs. […] Ces scènes sont deux, dont nous irons aussitôt à désigner la première sous le nom de scène

primitive, et non pas par inattention, puisque la seconde peut être considérée comme sa répétition, au sens qui est

ici même à l’ordre du jour »…

Citons maintenant la conclusion.

« Sans doute voici l’audacieux réduit à l’état d’aveuglement imbécile où l’homme est vis-à-vis des lettres de muraille

qui dictent son destin. Mais quel effet pour l’appeler à leur rencontre, peut-on attendre des seules provocations de

la Reine pour un homme tel que lui ? L’amour ou la haine. L’un est aveugle et lui fera rendre les armes. L’autre est

lucide, mais éveillera ses soupçons. Mais s’il est vraiment le joueur qu’on nous dit, il interrogera, avant de les abattre,

une dernière fois ses cartes et, y lisant son jeu, il se lèvera de la table à temps pour éviter la honte.

Est-ce là tout et devons-nous croire avoir déchiffré la véritable stratégie de Dupin au-delà des trucs imaginaires dont

il lui fallait nous leurrer ? Oui, sans doute, car si “tout point qui demande de la réflexion”, comme le profère d’abord

Dupin, “s’offre le plus favorablement à l’examen dans l’obscurité”, nous pouvons facilement en lire maintenant

la solution au grand jour. Elle s’obtient du titre de notre conte, et selon la formule même, que nous avons dès

longtemps soumise à votre discrétion, de la communication intersubjective où l’émetteur, vous disons-nous, reçoit

du récepteur son propre message sous une forme inversée. C’est ainsi que ce que veut dire “la lettre volée”, voire

“en souffrance”, c’est qu’une lettre arrive toujours à destination ».

On joint le tapuscrit complet

d’une version corrigée (double carbone, 42 feuillets in-fol., mouillures), daté en fin

Guitrancourt-San Casciano mi-mai mi-août 1956 ; plus un autre tapuscrit incomplet (p. 1-24).