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Citons le début de ce texte d’après le
manuscrit.
« Notre recherche nous a menés à ce point
de reconnaître que l’automatisme de répétition
(
Wiederholungszwang
) prend son principe dans
ce que nous avons appelé l’
insistance
propre de
la chaîne signifiante. Cette notion elle-même
nous l’avons dégagée comme corrélative de
l’
ex-sistance
(soit : de la place excentrique) où
il nous faut situer le sujet de l’inconscient si
nous devons prendre au sérieux la découverte
de Freud. C’est, on le sait, dans l’expérience
inaugurée par la psychanalyse qu’on peut saisir
par quels biais de l’imaginaire vient à s’exercer,
pour porter jusqu’au plus intime de l’organisme
humain, cette prise du
symbolique
.
L’enseignement de ce séminaire est fait pour
soutenir que ces incidences imaginaires, loin
de représenter l’essentiel de notre expérience,
n’en livrent rien que d’inconsistant, sauf à être
rapportées à la chaîne symbolique qui les lie et
les oriente. […]
C’est pourquoi nous avons pensé à illustrer
pour vous aujourd’hui la vérité qui se dégage
du moment de la pensée freudienne que nous
étudions, à savoir que c’est l’ordre symbolique
qui est pour le sujet constituant, en vous
démontrant dans une histoire la détermination
majeure que le sujet reçoit du parcours d’un
signifiant. […] nous avons pris notre exemple
dans l’histoire même où est insérée la dialectique
.../...
concernant le jeu de pair ou impair, dont nous avons le plus récemment tiré profit. Sans doute n’est-ce pas par hasard
que cette histoire s’est avérée favorable à donner suite à un cours de recherche qui y avait déjà trouvé appui.
Il s’agit, vous le savez, du conte que Baudelaire a traduit sous le titre de la lettre volée. À une première approximation,
on y distinguera un drame, de la narration qui en est faite et des conditions de cette narration.
On voit vite au reste ce qui rend nécessaire une telle composition chez un auteur à la délibération duquel elle
n’a pu échapper. La narration double en effet le drame d’un commentaire sans lequel il n’y aurait pas de mise en
scène possible. Disons que l’action en resterait à proprement parler invisible de la salle, – outre que le dialogue le
serait expressément et pour les besoins mêmes du drame, vide de tout sens qui pût s’y rapporter pour l’auditeur –,
autrement dit que rien du drame ne pourrait apparaître ni à la prise de vues, ni à la prise de sons, sans l’éclairage
à jour frisant, si l’on peut dire, que la narration donne à chaque scène du point de vue qu’avait en le jouant l’un
de ses acteurs. […] Ces scènes sont deux, dont nous irons aussitôt à désigner la première sous le nom de scène
primitive, et non pas par inattention, puisque la seconde peut être considérée comme sa répétition, au sens qui est
ici même à l’ordre du jour »…
Citons maintenant la conclusion.
« Sans doute voici l’audacieux réduit à l’état d’aveuglement imbécile où l’homme est vis-à-vis des lettres de muraille
qui dictent son destin. Mais quel effet pour l’appeler à leur rencontre, peut-on attendre des seules provocations de
la Reine pour un homme tel que lui ? L’amour ou la haine. L’un est aveugle et lui fera rendre les armes. L’autre est
lucide, mais éveillera ses soupçons. Mais s’il est vraiment le joueur qu’on nous dit, il interrogera, avant de les abattre,
une dernière fois ses cartes et, y lisant son jeu, il se lèvera de la table à temps pour éviter la honte.
Est-ce là tout et devons-nous croire avoir déchiffré la véritable stratégie de Dupin au-delà des trucs imaginaires dont
il lui fallait nous leurrer ? Oui, sans doute, car si “tout point qui demande de la réflexion”, comme le profère d’abord
Dupin, “s’offre le plus favorablement à l’examen dans l’obscurité”, nous pouvons facilement en lire maintenant
la solution au grand jour. Elle s’obtient du titre de notre conte, et selon la formule même, que nous avons dès
longtemps soumise à votre discrétion, de la communication intersubjective où l’émetteur, vous disons-nous, reçoit
du récepteur son propre message sous une forme inversée. C’est ainsi que ce que veut dire “la lettre volée”, voire
“en souffrance”, c’est qu’une lettre arrive toujours à destination ».
On joint le tapuscrit complet
d’une version corrigée (double carbone, 42 feuillets in-fol., mouillures), daté en fin
Guitrancourt-San Casciano mi-mai mi-août 1956 ; plus un autre tapuscrit incomplet (p. 1-24).




