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Vente aux Enchères

– Genève,

15 Octobre

2019

retourner dans notre cabine pour prendre autre chose,

nous n’imaginions à quel point cela pouvait être sérieux.

Je pensais pouvoir revenir pourmettre plus de vêtements

et prendre d’autres affaires mais on nous a mis dans des

canots de sauvetage et repoussés immédiatement.

Toutes les femmes et les enfants furent installés en

premier, nous devions être trente ou quarante dans

notre canot. Ce devait être le dernier à embarquer

des femmes à son bord. Lorsque nous nous sommes

éloignés du navire, nous avons compris l’urgence et

reçu l’ordre de nous éloigner d’un demi-mile aussi vite

que possible car la moitié du

Titanic

était déjà dans l’eau.

Nous avons observé les hublots qui sombraient jusqu’à

ce que l’arrière du bateau soit immobilisé ; ensuite

les lumières se sont éteintes, et les chaudières ont

éclaté et explosé. Nous avons entendu un rugissement

horrible, comparable à celui de centaines de lions et

puis plus rien que les plaintes et les appels à l’aide

des centaines d’hommes et des quelques femmes qui

coulaient avec le navire

. Il n’y avait pas assez de canots

pour un si grand nombre. Vingt canots furent mis à la

mer et seulement quatorze furent repêchés. Plusieurs

hommes se trouvaient sur un radeau qui a été repoussé,

on a entendu leurs cris pathétiques pendant si longtemps.

Un seul de ses occupants âgé de 21 ans a survécu.

Il nous

a dit que les hommes étaient abandonnés les uns après

les autres, poussés du radeau pour le rendre plus léger.

Cet homme était resté dessus pendant six heures avant

d’être secouru.

Juste avant que le bateau coule le Capitaine « Le même

Capitaine Smith du bateau jumeau Olimpic » s’est jeté à la

mer pour aller chercher une petite fille qui était accrochée

au bateau et la mettre sur le radeau. Lui aussi a été hissé

à bord mais il ne devait pas rester.

Il dit « Adieu garçons.

Je dois partir avec mon bateau ». Il est reparti à la nage

dans l’eau glacée et est mort à son poste.

La petite fille

est morte aussi. J’ignore comment ont fait les quelques

hommes à bord de notre canot pour le maintenir.

Nous

avons tous dérivé parmi les icebergs pendant des

heures, et comme il faisait froid !

Nous n’avions pas

assez de vêtements. Je n’avais pas de chemisier et

d’autres n’avaient ni bas ni sous-vêtements. Le bateau

tanguait et j’avais le mal de mer, trois jeunes bébés sur

les quatre qui nous accompagnaient étaient séparés

de leur mère et comme ils hurlaient !

Nous étions tous

morts de froid, dérivant à la recherche d’un éventuel

navire, dans l’attente de l’aube.

Nous avons bientôt

aperçu une lumière vive et l’avons regardée avec anxiété,

elle s’est rapprochée jusqu’à ce que nous distinguions

davantage de lumières et comprenions qu’une aide était

à portée de main. Le suspense était terrible. Nous étions

effrayés à l’idée qu’ils ne soient pas informés du naufrage

ou qu’ils ne voient pas nos lumières car la plupart des

canots n’étaient pas éclairés et avaient seulement une

lumière au bout d’une corde. Nous n’avions ni boisson ni

nourriture. Le seul élément favorable était la clarté des

étoiles dans un ciel dégagé et une mer plutôt calme.

Ce bateau, le

Carpathia

de

Cunard line

allait de Halifax à

Berlin. Il était le seul bateau assez proche pour recevoir

le message radio de détresse du

Titanic

et l’opérateur

nous a appris plus tard qu’il s’apprêtait à partir et à fermer

la porte lorsqu’il a entendu le déclic du seul et unique

message radio et a pu l’enregistrer juste à temps. C’était

une heure et quart avant qu’il ne trouve le premier canot.

Bien sûr le navire est resté immobile et a attendu que

nous montions tous à bord, il ne restait plus que deux

personnes lorsque nous sommes montés. Nous sommes

restés dans le petit bateau cinq heures et demi avant

d’être secourus.

Ils ont fait descendre des sacs pour

les bébés et les ont remontés puis nous nous sommes

assis sur des sortes de balançoires avant d’être hissés

à bord à l’aide de cordes de sécurité.

Ils ont été très

gentils avec nous, nous ont conduits un par un dans la

salle à manger et nous ont donné du cognac. J’ai bu un

demi-verre de cognac et sans eau. Nous étions morts et

cela a remis de la vie en nous. Bien sûr le bateau était

déjà rempli de ses propres passagers, mais ils ont trouvé

de la place pour dormir pour chacun de nous, mais

aucun de nous n’a bien dormi après avoir traversé un tel

cauchemar. Ce bateau était positionné à l’endroit exact

où le

Titanic

avait sombré et où il nous avait repêchés.

Deux petits bateaux qui flottaient ont été récupérés plus

tard. L’un avait sept corps sans vie à son bord et l’autre

un seul marin décédé. Ils les ont placés dans des toiles

qui ont été cousues, les ont pesés et leur ont offert un

enterrement chrétien en pleine mer. Deux petits bateaux

remplis de passagers ont chaviré. Ils se sont tous noyés,

sauf deux ou trois qui s’étaient accrochés à la coque et

ont pu être sauvés. On nous a dit que que le

S.S. Baltic

avait recueilli une cinquantaine d’hommes et, ici, les

pauvres femmes espèrent que leur mari sont parmi

eux.

On estime qu’il y a au moins 160 veuves suite au

naufrage, et la plupart ont des enfants. Cela brise le

cœur de les voir et les entendre pleurer leur mari.

On

nous a tous rassemblés et on a pris nos noms pour les

journaux. Bien sûr ils ne peuvent pas dire combien sont

morts, mais

nous avons sur ce navire seulement deux

cents membres d’équipage sur les neuf cent dix et cinq

cents passagers sur environ deux mille. Je suis parmi

les chanceux car Dieu m’a sauvé la vie alors que j’étais

si proche de la mort.

J’ai perdu tout ce que j’avais à bord,

la seule chose que j’ai sauvée, c’est la montre que Papa

m’a offerte il y a onze ans mais tous mes trésors, mes

vêtements et de l’argent ont sombré. Je n’ai que le peu de

vêtements que je portais à mon réveil, surtout mon gros

manteau qui a été une vraie bénédiction. Nous espérons

accoster dans la nuit de mercredi ou le matin suivant.

Ce sera un tel soulagement car je me sens si mal. Ici la

nourriture n’est pas très bonne et nous devons dormir

au fond du bateau, mais je remercie Dieu d’être vivante.

Je pourrais vous en dire bien plus sur les horreurs de la

nuit de dimanche mais j’écrirai encore plus tard, lorsque

je serai à terre. Je ne supporte pas de repenser à tout cela

maintenant. Pourriez vous montrer cette lettre à ma tante

et à Edie et dire à mes amis que je suis saine et sauve.

Vous avez du être tellement inquiets.

À vous tous avec tout mon amour.

La ponctuation du texte initial, écrit d’une traite, à la hâte,

a été rétablie pour en faciliter la lecture. Cette lettre a

été reproduite dans le

Folkestone Herald

du 4 mai 1912.

€ 25’000 - 30’000