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3novembre 2020 - 14h00. Paris

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GEORGES HEILBRUN

1901-1977

Faventibus astris

« Que les astres soient favorables ». Ils le furent semble-t-il pour Georges Heilbrun (dont c’était la devise) tout au long de ses

trois-quarts de siècle d’existence. Né en 1901 à Bruxelles dans une famille aisée, il arriva très tôt à Paris où il ne tarda pas à de-

venir le type du parisien le plus achevé. Des études secondaires au lycée Chaptal suivies avec un certain détachement devaient

selon le vœu de son père l’amener à préparer l’admission à l’ École centrale.

Mais dès son adolescence, grâce à un professeur de français qui avait devant ses élèves exhibé une vieille édition de Brantome,

il avait entrevu le monde merveilleux du livre ancien et les félicités qui pouvaient en résulter. Dès cet instant il ne cessa de s’y

intéresser de façon grandissante, formant déjà avec son argent de poche une petite collection de livres acquis chez des bouqui-

nistes (dénués d’intérêt devait-il reconnaître plus tard).

En renonçant à entrer dans une affaire familiale florissante il dut, comme toujours en pareil cas, pour justifier une attirance

autre dépenser plus d’énergie et d’endurance qu’en agréant le plateau qui tout chargé s’offrait à lui. Qu’à cela ne tienne ! Un

modeste curé du village renforça des notions de latin déficientes tandis qu’il s’attelait à un rude apprentissage chez Lucien

Dorbon, libraire installé dans le bas de la rue de Seine qui détenait dans de vastes locaux quelque 200 000 volumes. Dorbon

pressentant un homme d’avenir le prit sous son aile et lui enseigna l’art d’analyser et de décrire un livre. La rue de Seine et son

prolongement, la rue de Tournon, allaient sa vie durant devenir le théâtre de ses performances. Après une fructueuse association

avec Marie-Rose Thomas, au 19 de la rue de Tournon, il s’installa en 1930 avec l’aide d’un père enfin conscient que l’on ne

pouvait entraver une vocation aussi impérieuse, à cent mètres de là, au 76 de la rue de Seine. Dans ce majestueux local qui

convenait si bien à sa prestance, il a accueilli pendant plus de quarante ans les bibliophiles les plus ardents, les plus chevronnés :

le notaire J. Bourdel, M

elle

Edmée Maus de Genève, Lessing Rosenwald le donateur des universités américaines, Martin Bodmer

de Zurich, Henri Schiller – « le duc d’Aumale des temps modernes » ; d’érudits conservateurs de bibliothèques : Philip Hofer

(Harvard), Jacques Guignard (Arsenal) ; des libraires : Pierre Berès, Georges Blaizot, Maurice Chalvet, Lucien Scheler, Flori-

mond Tulkens (de Bruxelles), Paul Lardanchet, Alberto Chiesa (de Milan), Tammaro de Marinis (de Florence), mais aussi des

écrivains, des artistes et des relieurs.

Georges Heilbrun s’était donné pour mission de « remettre entre les seules mains de ceux qu’il en jugeait dignes les trésors ar-

tistiques et culturels qu’il rapportait de l’étranger, cherchant ainsi avant toute préoccupation de lucre à en assurer essentielle-

ment la conservation »

1

. La bibliophilie parisienne lui sera redevable d’avoir pendant plusieurs dizaines d’années rapatrié des

livres rares dispersés sur tous les continents. Il les épiait, les débusquait là où ils surgissaient, que ce soit à la vente des princes

Dietrichstein à Lucerne en 1933, à celle des Függer, banquiers bavarois du XVI

e

siècle à Munich en 1934, de Cortland F.

Bishop à New York en 1938 ou celles du major John Roland Abbey à Londres à partir de 1965. Il fut le conseiller et le four-

nisseur de quelques-uns des bibliophiles les plus célèbres du siècle

:

Martin Bodmer, à qui il a consacré une notice révélatrice

2

,

1

Lucien Scheler.« Georges Heilbrun », in Bulletin du bibliophile, III-IV, 1977, page 459.

2

Georges Heilbrun, « Martin Bodmer, fondateur de la Bibliotheca Bodmeriana », in

Bulletin du Bibliophile

, II, 1971, pages 229-233.– Ce bibliophile

disposait d’importants moyens. Vers 1950 il avait acheté au libraire de Philadelphie Abraham Rosenbach une collection des premières éditions de

Shakespeare pour la somme alors extraordinaire d’un million de dollars. Il réunissait en particulier les éditions originales des chefs-d’œuvre de la

pensée universelle dans toutes les langues, à commencer par la Bible dite de Gutenberg (1455), premier livre imprimé typographiquement. Sa collection

qui rassemble 160 000 livres et document précieux est devenue la Bibliotheca Bodmeriana, fondation installée à Cologny près de Genève.