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3novembre 2020 - 14h00. Paris

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Une anecdote peu connue mérite d’être rapportée. Elle concerne une bibliothèque fameuse, celle d’Odorico Pillone, pa-

tricien de Bellune en Vénétie. Cet amateur et ses fils avaient fait peindre, entre 1575 et 1590, les tranches de leurs livres

par César Vecellio un cousin de Titien. La collection de 168 volumes ainsi décorés, les tranches et parfois aussi les plats

des volumes, passa en Angleterre à la fin du XIX

e

siècle où elle fut acquise en bloc par le grand bibliophile du moment

Thomas Brooke. En 1956 Pierre Berès l’acquit à son tour toujours en son entier, du neveu de Brooke. Il publia un luxueux

catalogue de vente avec reproductions aquarellées à la main et une préface de Lionello Venturi, l’un des plus renommés

historiens de la peinture italienne. Précisons que la transaction Berès-Brooke s’est faite par l’intermédiaire de Georges

Heilbrun, qui le premier avait eu connaissance de la bibliothèque et l’avait d’ailleurs expertisée. Cette collection fabuleuse

entra donc en France grâce à lui.

Avec une haute taille et une stature imposante, un visage sculptural aux traits réguliers éclairé par un regard scrutateur,

Georges Heilbrun exprimait une personnalité exceptionnelle. Conscient des faveurs dont l’avait doté la naissance il aurait

pu apparaître condescendant. Il n’en était rien. Tout au plus était-il réservé, observateur et parfois un peu impérial. Mais

dans ses dernières années il se montrait particulièrement accessible à tous et attentif aux sollicitations des jeunes, à qui il

prodiguait volontiers des conseils et communiquait des renseignements bibliographiques. Ses petits-enfants conservent

des dessins en couleurs composées par lui avec humour pour leur amusement et pour leur instruction.

Georges Heilbrun n’a jamais désarmé. Niant la maladie et une fin pourtant prévisible il s’entretenait encore peu avant

son décès avec son vieil ami Roger Stoddard, le prospecteur institué par Harvard pour découvrir en France des raretés

littéraires à même d’enrichir les fonds de l’université. Et tous deux, tout en traitant peut-être des affaires, devisaient joyeu-

sement, éruditement, intarissablement, comme des humanistes de la Renaissance sur les joies infinies que procurent la

fréquentation des livres et leur histoire…

Christian Galantaris