Previous Page  5 / 70 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 5 / 70 Next Page
Page Background

3novembre 2020 - 14h00. Paris

4

Henry Bradley Martin de New York, dont les livres vendus en 1989 et 1990 ont produit trente-cinq millions de dollars

(plus de 30 millions d’euros)

3

, et Henry Schiller de Paris, qui depuis continue seul et brillamment sa carrière avec le portrait

d’Heilbrun sur une console du salon. Les quarante-quatre derniers catalogues d’Heilbrun font défiler une suite de livres

variés et tous désirables, pour user du mot qu’il a l’un des premiers employé à leur propos, découvrant un splendide pa-

norama de l’histoire du livre depuis le haut Moyen Âge jusqu’à l’Art déco. S’étant détourné des grands chevaux de bataille

de la bibliophilie classique, négligeant les illustrés du XVIII

e

siècle ou ceux de la période romantique avec leurs cortèges

de suites de gravures et leurs riches reliures à dentelle ou à rocaille, il cherchait les livres insolites, peu connus ou mal

décrits et ceux qui comptaient dans l’histoire des idées ou des découvertes. Le charme de ses descriptions tient à la fois

dans la précision, la limpidité et une sorte d’humour imperceptible qu’il arrivait à introduire dans ses notices, même s’agis-

sant d’austères traités relatifs par exemple à la Réforme ou aux sciences exactes. Par l’incessant mouvement de livres pré-

cieux passés entre ses mains il acquit rapidement le rang d’un libraire de réputation internationale.

Quoi que très abondamment pourvu en bibliographies et documentations diverses, Georges Heilbrun à l’instar de son

confrère Pierre Berès marquait une certaine défiance à leur endroit, les utilisant pour vérifier la conformité des collations

— n’étant pourtant pas toujours en accord avec leurs attendus, arrivant même parfois à des conclusions divergentes tou-

chant les dates, les collations, les attributions. Il se fiait en priorité à sa vision personnelle, son jugement, son expérience,

estimant que rien ne valait le tête à tête avec le livre. Toisant un jour cette masse de bibliographies rassemblée en près

d’un demi-siècle il confiait à un visiteur, Jean Colliard : « Mon cher ami, j’aimerais oublier tout ça ; je voudrais faire un

catalogue sans y avoir recours. Me comprenez-vous ? »

4

. Jean Colliard n’a pas relevé que son interlocuteur avait précisé-

ment publié un an plus tôt ce qui allait être son dernier catalogue : « Deux cent vingt livres illustrés » (art nouveau et art

déco, plus faciles à décrire il est vrai) composé sans l’assistance d’aucun support bibliographique, simplement à partir de

ses seuls souvenirs et observations.

Quelques mois avant son décès il en prévoyait deux autres, l’un de livres remarquables par la typographie, l’autre, tota-

lement inédit, de contrefaçons aldines imprimées à Lyon à partir de 1502 par B. de Gabiano, B. Trot et Jacques Myt. On

voit par ce projet quel niveau avancé d’érudition il avait atteint.

5

De ses quarante-quatre derniers catalogues publiés entre 1949 et 1975 on retiendra ceux qui sur un thème firent date et

sont toujours consultés comme source des plus fiables :

Botanique

(n° 13, 1957),

Topographie française

(n° 25, 1966),

Imprimeurs

célèbres

(n° 28, 1967),

Livres du XV

e

siècle

(120 incunables ! n° 33, 1972) et le dernier, de livres art nouveau et art déco (n° 44,

1975), sans omettre les deux consacrés à un écrivain :

Verlaine

(n° 2, 1949),

Victor Hugo

(n° 16, 1959).

On se doute qu’un libraire qui décrivait si bien les livres, scientifiquement et littérairement, avait un don pour l’écriture.

Et en effet il a publié avec talent de nombreux articles dans des revues spécialisées en histoire du livre telles que

Arts et

Métiers graphiques

et le

Bulletin du Bibliophile

. Sa dernière contribution, sur la bibliothèque enfin identifiée du soi-disant De-

metrio Canevari (en réalité Giovanni-Battista Grimaldi), est une très fine analyse des conditions dans lesquelles a été

éclaircie cette énigme

6

.

Cataloguer les livres de Georges Heilbrun ? N’est-ce pas une gageure de vouloir se substituer à celui qui les avait élus et

l’eût fait mieux que quiconque ? Certes plusieurs d’entre eux proviennent de son fonds de librairie, et il a été possible de

les retrouver décrits dans ses catalogues. On a cru pouvoir alors développer certaines notices pour répondre à des attentes

nouvelles. Les autres, en plus grand nombre et qui portent l’ex-libris au monogramme

G H

, ont été de toute évidence re-

tenus pour former un cabinet d’amateur. Même si son style est inimitable, on s’est efforcé pour les décrire de suivre ses

méthodes en apportant le maximum d’informations souhaitables, sans surcharges, tout en appliquant un constant souci

de sobriété dans les formulations. Et aussi a-t-il paru à propos, quarante-cinq ans après le décès de Georges Heilbrun, de

placer en tête de ce catalogue l’ultime témoignage d’un admirateur assez proche de lui pour pouvoir encore apporter sur

sa personnalité et son activité des observations et des appréciations de première main.

Les 140 numéros de ce catalogue représentent le tiers de la collection d’origine qui a été après son décès partagée entre

ses trois enfants. Cette partie la seule à ce jour restée complète ressortit aux spécialités suivantes : incunables, littérature,

sciences anciennes, botanique, illustrés anciens et modernes, « association copies »

7

, typographie, reliure… Ces thèmes

résument les dilections d’un libraire-bibliophile et rendent compte de ses curiosités.

3

Huit catalogues, le quatrième de

Highly Important French Literature

, Monaco, 16-17 octobre 1989. Cf

The Book collector

, IV, 1990, page 533.

4

Jean Colliard , «Georges Heilbrun», in Bulletin du Bibliophile, 1978, II, page 252.

5

Une de ces contrefaçons est décrite ci-après sous le n°72 Prudentius

6

Georges Heilbrun « Reliure [A. Hobson, Apollo & Pegasus] », in Bulletin du Bibliophile, 1976, I, pages 54–57.

7

Georges Heilbrun a été l’un des premiers libraires en France a employer dans les années 1960 l’expression association copy, non par le discret

snobisme de celui qui manie avec aisance la langue anglaise mais simplement parce qu’elle n’a pas d’équivalent dans le nôtre. Elle désigne un

livre magnifié par une dédicace particulièrement évocatrice attestant des liens étroits entre le dédicateur et le dédicataire. Voir par exemple le

n°115 ci-après, la dédicace de Victor Hugo à Juliette Drouet.