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Ces variantes correspondent pour l’essentiel à des allègements
opérés par Breton. “Dans « En 80 jours » sont enlevés, ici un élément
trop descriptif, là une notation fallacieusement explicative, ailleurs un détail
oiseux qui entraînait la répétition d’un terme. Au début de « Gants blancs », plusieurs
lignes sont coupées ; elles rappelaient assez directement, par le thème de l’hostilité du monde, le
début de « La Glace sans tain ». Les larges suppressions intervenues dans « Barrières » sont parfois le fait
commun des deux scripteurs. [...] En général les coupures visent principalement à plus de sobriété. D’autres
retouches témoignent d’un instinct stylistique sûr” (Breton,
Œuvres complètes
I, Bibliothèque de la Pléiade,
1988, pp. 1142-1143).
Le manuscrit porte ainsi les marques d’un méticuleux remodelage stylistique, à rebours des principes de
l’automatisme revendiqué.
“L’écriture automatique apparaît donc dès ses premières manifestations comme une expérience ambivalente :
parole pulsionnelle, elle reste en même temps surveillée, cet
irrésistible
contrôle intervenant à des moments et
à des degrés divers. C’est dire que l’automatisme est un objectif que le poète se propose sans jamais pouvoir
l’atteindre totalement dans la
durée
, et que, contrairement à une autre idée reçue, Breton n’a jamais sacralisé
cette technique, tout en appuyant sur elle l’élan de son écriture poétique” (
ibid.
, p. 1144).
Le manuscrit a figuré à l’exposition
Dada
du Musée national d’Art moderne de 1967, comme en témoigne
le bon de retour conservé par le collectionneur René Rasmussen.
Le manuscrit est préservé dans une saisissante “reliure sculpture” originale de Jean Benoît
exécutée au début des années 1970 pour René Rasmussen : manière de
memento mori
surréaliste.
Annie Le Brun a rendu hommage aux sculptures de l’artiste surréaliste, notamment à ses emboîtages, dans
le catalogue qu’elle lui consacra en 1996 : “Toute cette rumeur de couleurs de parfums, d’images, de formes
dont nous entourons inconsciemment les textes qui nous importent, Jean Benoît nous la rend visible mais aussi
tangible avec les sculptures emboîtages qu’il a réalisées pour les rares livres dont il se sent redevable. [...] Ainsi,
il n’est aucun emboîtage de Jean Benoît qui ne semble né de pareille cristallisation soudaine où les images sont
assez fortes pour précipiter toute la matière en rempart autour de la fragilité de la pensée. Et l’orage magnétique
des présences hallucinées, impitoyablement humaines, innocemment inhumaines, dont il a fait les gardiens
hantés des
Champs magnétiques
d’André Breton et de Philippe Soupault, est un de ces précipités devant lesquels
l’espace cède la place pour laisser voir à nu, à vif, les membranes du désir, les artères de la passion et les nerfs
arborescents de la pensée s’éloignant d’elle-même” (
Jean Benoît
, Galerie 1900-2000, 1996).




