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Paul ÉLUARD.
Liste de pièces d’art premier en vue de la vente de
1931
.
Sans lieu ni date
[Paris, 1931].
Manuscrit autographe de 3 pages grand in-folio avec 4 lignes de la
main d’André Breton.
Précieuse liste autographe de pièces d’art premier classées par
pays en vue de la vente aux enchères organisée avec André
Breton en juillet 1931.
Les pièces décrites proviennent essentiellement d’Océanie puis
d’Amérique : les pièces africaines sont minoritaires.
“Le Surréalisme dans son refus de la rationalité ne pouvait que se
découvrir des affinités avec des expressions artistiques qui échappent
à nos habitudes de représentation. Dans le sillage d’Apollinaire et
des cubistes, André Breton n’avait pas pu échapper au grand courant
d’intérêt pour l’art africain. Des visites à l’appartement d’Apollinaire,
il garde le souvenir d’un dédale mystérieux :
« L’appartement était
exigu, mais d’un tour accidenté : il fallait se faufiler entre les meubles
supportant nombre de fétiches africains ou polynésiens mêlés à des objets
insolites. »
On notera comme un indice révélateur que très jeune il
avait fait l’acquisition d’un fétiche de l’île de Pâques, « le premier objet
sauvage » qu’il ait possédé, comme il le rappelle dans
Nadja
. Très tôt
l’art océanien va exercer sur Éluard et lui une fascination durable qui
se manifeste par leur passion de collectionneurs avertis : lorsqu’ils
seront contraints d’organiser une vente commune à l’Hôtel Drouot
en juillet 1931, le catalogue comporte 320 numéros. Et Breton n’a pas
attendu l’exil aux États-Unis pour acquérir des poupées Hopi, comme
en fait foi la reproduction d’une pièce de sa collection dans la revue
La Révolution surréaliste
du 1
er
octobre 1927.
Pourquoi ces choix, ces attirances ? Breton constate que l’art africain
se livre à des variations
« sur les apparences extérieures de l’ homme
et des animaux »
. En revanche, du côté de l’art océanien,
« s’exprime
le plus grand effort immémorial pour rendre compte de l’interpénétration
du physique et du mental, pour triompher du dualisme de la perception
et de la représentation, pour ne pas s’en tenir à l’écorce et remonter à la
sève »
. Il faut avoir vu dans l’atelier de la rue Fontaine ces figurations
expressives et aérées, recourant à toute une variété de matières,
allant des coquillages aux plumes et au liège, avec des ressources
d’inventivité surprenantes. À la tombée du jour, on ne distinguait plus
que des silhouettes sombres ; seuls brillaient d’un éclat minéral les
yeux du grand Uli de Nouvelle-Irlande posé sur le bureau de travail,
comme une survivance de ces
« angoisses primordiales »
refoulées par
la vie civilisée, dont parle Breton dans
Océanie
(1948)” (Etienne-Alain
Hubert et Philippe Bernier).
Dans son essai consacré au
Paris des arts, 1930-1950
(2011, pp. 21-22),
Pierre Daix souligne le rôle paradoxal joué par l’Exposition coloniale –
pourtant dénoncée par les écrivains surréalistes – dont “l’importance
culturelle a été beaucoup plus marquante et progressiste qu’il n’y parut
d’abord”. Et de citer Jean Laude : “À l’Hôtel Drouot sont nommés
des experts en « arts primitifs ». En 1931, ils dispersent à de hautes
enchères les collections de Paul Éluard et André Breton.”
Le produit de la vente, plus élevé que prévu, servit en partie à financer
le
Surréalisme au service de la révolution
.
2 000 / 3 000
€




