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Jean GENET.
Tonnerre de Brest
.
Le 13 mars 1945.
Manuscrit autographe in-4 de (1) f. de titre, 396 feuillets sur un cahier d’écolier ou insérés, la plupart
numérotés de la main de l’auteur (dont 34, numérotés, sont vierges) : conservé dans un étui.
Célèbre manuscrit autographe signé de premier jet de
Q
uerelle de
B
rest
dont la réapparition
en 1992 dans la vente de Jacques Guérin fut un événement.
Le manuscrit de la première version de
Querelle de Brest
se présente comme un gros cahier d’écolier
portant sur la couverture le titre «
Tonnerre de Brest
/ Roman / I » et la date du 13 mars 1945. Le verso de
la couverture et la page de garde donnent à lire une longue dédicace à Jacques Guérin, riche industriel
et bibliophile qui avait rencontré Jean Genet en mars 1947 par l’intermédiaire d’un libraire parisien,
Roland Saucier. Guérin acquit le manuscrit ; quand le roman parut en novembre, il lui était dédié, alors
que le manuscrit prévoyait que l’hommage allât à Jean Cocteau.
Au long du cahier ou sur des feuillets insérés se lit une première version du roman déjà
proche de la version finale, malgré d’inévitables hésitations, des récritures, manques,
suppressions et déplacements de segments de longueurs diverses.
La diversité des papiers, la discontinuité dans la numérotation des feuillets témoignent d’une rédaction
à la fois suivie et fragmentée : certaines sections ont été rédigées indépendamment, dans un ordre qui
ne sera pas nécessairement celui de leur apparition à l’état final ; certaines (comme le récit du meurtre
de l’Arménien) semblent être la mise au net d’un premier jet ; d’autres sont encore à l’état de projet.
Ce document d’environ 370 pages est d’un très grand intérêt pour l’histoire du roman de
Jean Genet.
On y découvre par exemple quelques pages sur les relations de Querelle et des femmes ou sur ses
rapports avec le tenancier de La Féria qui seront plus tard écartées et qui éclairent diverses allusions
restant opaques dans l’état final. Certaines remarques ponctuelles non conservées présentent par
ailleurs un intérêt considérable pour la compréhension générale du projet du romancier : « Puisque
notre esthétique exige que l’auteur se rattache à son œuvre de la façon la moins ambiguë, le lieutenant
Seblon sera tout particulièrement notre projection parmi les personnages de ce livre. »
À diverses reprises ont également disparu des lignes ou des pages de transition, ainsi que les sous-
titres qui distinguaient à l’origine clairement les extraits du carnet intime du lieutenant Seblon. Fort
significatif est ainsi le changement esthétique intervenu entre ce premier état du roman et la version
publiée : l’abandon d’une poétique de la marqueterie au profit d’une esthétique du flux. Le manuscrit
est par exemple divisé en trente-deux chapitres, dont chacun se serait sans doute ouvert par une citation
d’exergue. Genet y renonça ensuite, fusionnant en outre de nombreux paragraphes, supprimant
fréquemment l’alinéa même lorsqu’il y avait originellement un saut de ligne, une ligne de pointillés,
voire un saut de page.
Les renseignements qui précèdent nous ont été transmis par Gilles Philippe après examen du manuscrit.
M. Philippe prépare actuellement, avec Emmanuelle Lambert, la prochaine édition des romans
de Jean Genet pour la Pléiade : qu’il trouve ici l’expression de notre vive gratitude.




