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Le manuscrit a donc été acquis en 1947 par Jacques Guérin directement auprès du romancier.

Ce dernier a inscrit en tête un long envoi :

Cher Monsieur,

Si ce manuscrit est le premier que l’on me fait l’ honneur de payer – au-delà selon moi de ce qu’il

vaut – croyez bien que j’en éprouve une grande fierté. La confiance que vous m’accordez en désirant

une dédicace m’obligerait à vous la choisir entre toutes. Or je ne puis mieux vous exprimer ma

gratitude que par la joie que j’éprouve à connaître un lecteur pour qui le fétichisme est une religion.

Que ce manuscrit vous soit une amulette. Je ne le désire qu’afin qu’elle vous soit bénéfique.

Vous aurez été, Monsieur, le premier à aimer le Tonnerre de Brest ; vous êtes le seul à en posséder

la première version. Mais puisqu’ainsi vous êtes au fait de mes repentirs, ne profitez pas de cette

supériorité sur moi, et souffrez que je me fasse humble devant vous.

Je vous embrasse.

Jean Genet

.”

Avant de le mettre en relation avec le romancier, Roland Saucier avait soumis au bibliophile deux livres

nouvellement parus, dont le premier passait pour un chef-d’œuvre :

Les Amitiés particulières

de Roger

Peyrefitte et

Notre-Dame des fleurs

de Jean Genet. Après lecture, Guérin dit à Saucier : “Vous faites

erreur, le chef-d’œuvre c’est le livre de Genet. L’autre n’est qu’

une aventure.

Lorsque Jean Genet et Jacques Guérin se rencontrèrent, ce dernier demanda à lire le manuscrit en

cours,

Querelle de Brest

– alors encore intitulé

Tonnerre de Brest.

Il l’acquit peu après. Par la suite, Genet

lui offrit les manuscrits du

Journal du voleur

et de

Pompes funèbres.

(

Bibliothèque Jacques Guérin,

VII, 1992, nº 34 : “Genet écrivit

Querelle

presque en même temps que

Pompes funèbres,

durant ces années fastes (1942-1948) où il produisit plus de la moitié de son œuvre à

une cadence effrénée. Cocteau lui avait dit : « Tu es un très mauvais voleur puisque tu te fais toujours

prendre, mais tu es un grand écrivain. Travaille. » Ce qu’il fit. […] Ce livre n’est pas seulement fiction

romanesque, mais aussi quête onirique, album de souvenirs parcouru de frissons et de fantasmes, de

délires et de fixations obsessionnelles. Héros de la saga homosexuelle, Querelle n’est pas Genet, mais

Genet voudrait être Querelle. Jamais l’auteur ne nous avait livré autant de lui-même.”).

80 000 / 120 000