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Gérard de NERVAL.
Fragment d’
Aurélia
.
[Vers 1855].
Manuscrit autographe, 2 feuillets in-8 écrits au recto seulement (205 x 130 mm) montés sur onglets : maroquin
noir souple, titre en lettres dorées sur le premier plat, doublures et gardes de daim bordeaux, chemise, étui
(Loutrel).
Document autographe infiniment précieux : il s’agit de deux pages d’
A
urélia
retrouvées sur
la dépouille du poète après son suicide, rue de la Vieille Lanterne, le 26 janvier 1855 à l’aube.
“On trouva sur lui quelques pièces d’identité, son passeport pour l’Orient, une lettre, deux reçus d’un asile, une
carte de visite (celle d’Asselineau) ; enfin… les derniers feuillets d’
Aurélia
! Il ne lui restait qu’une pièce de deux
sous, réservée sans doute à acquitter son droit de paille” (Aristide Marie).
Les feuillets étaient au nombre de quatre et se suivaient : ces deux premiers, exposés en 1955 à la Bibliothèque
nationale lors de la rétrospective consacrée au poète (nº 306 du catalogue), appartenaient alors au collectionneur
d’autographes Alfred Dupont. (
Vente Alfred Dupont
novembre 1956, nº 253.) Les deux suivants appartenaient
au Dr Jacques Lacan ; ils ont récemment reparu dans la vente de la bibliothèque de Bernard Loliée (
Bibliothèque
R. et B.L.,
VII, 2018, nº 210).
“Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde
invisible.” Les deux premières phrases d’
Aurélia
expliquent assez la fascination qu’exerça Nerval sur les
surréalistes qui en firent un de leurs précurseurs – André Breton plaçant le récit
parmi les douze livres majeurs
de la littérature française. “Livre infaisable”, pour reprendre la formule de Dumas,
Aurélia
est le récit d’une
descente aux enfers et la tentative de traduction à la première personne des rêves du poète. Nerval concevait
le rêve à la fois comme thérapie et comme instrument d’exploration ; l’ouvrage, qui devait d’abord s’intituler
Le Rêve et la Vie,
a été écrit durant les deux derniers séjours de l’auteur dans la clinique du docteur Blanche
à Passy, en 1853 et 1854. Ces fragments retrouvés dans ses poches constituent les ultimes corrections d’un texte
demeuré inachevé.
Le présent fragment contient le début du chapitre IV de la seconde partie : “
Le sentiment qui résulta pour moi de
ces visions et des réflexions qu’elles amenaient pendant mes heures de solitude était si triste, que je me sentais comme
perdu
” – jusqu’à : “
Un de mes amis, nommé Georges, entreprit de vaincre ce découragement.
”
Récit poignant sur le désespoir, nourri des souvenirs d’enfance, hanté par l’absence de mère et le “
souvenir
chéri d’une personne morte
”, la quête mystique et, finalement, l’affirmation d’avoir “
retrouvé le repos et une force
nouvelle à opposer aux malheurs futurs de la vie
.”
“
Je n’ai jamais connu ma mère qui avait voulu suivre mon père aux armées comme les femmes des anciens
Germains ; elle mourut de fièvre et de fatigue dans une froide contrée de l’Allemagne, et mon père
lui-même ne put diriger là-dessus mes premières idées. Le pays où je fus élevé était plein de légendes étranges
et de superstitions bizarres : un de mes oncles qui eut la plus grande influence sur ma première éducation,
s’occupait pour se distraire d’antiquités romaines et celtiques.
[…]
Le désespoir et le suicide sont le résultat de certaines situations fatales pour qui n’a pas foi dans l’immortalité,
dans ses peines et dans ses joies ; je croirai avoir fait quelque chose de bon et d’utile en énonçant naïvement
la succession des idées par lesquelles j’ai retrouvé le repos et une force nouvelle à opposer aux malheurs futurs
de la vie.
Les visions qui s’étaient succédées pendant mon sommeil m’avaient réduit à un tel désespoir, que je pouvais
à peine parler, la société de mes amis ne m’inspirant qu’une distraction vague, mon esprit entièrement occupé
de ces illusions se refusait à la moindre conception différente, je ne pouvais lire et comprendre dix lignes
de suite. Je me disais des plus belles choses : Qu’importe ! cela n’est pas pour moi. Un de mes amis nommé
Georges entreprit de vaincre ce découragement
.”
Le manuscrit est numéroté “II” en tête et porte, dans le coin supérieur gauche, cette note : “2
e
article.” Pour
autant, Louis Ulbach inséra le texte comme chapitre IV de la seconde partie. Récemment, Jean Guillaume
a montré qu’il s’était agi d’une erreur de l’éditeur : “Ulbach n’a pas compris, n’a pas cherché à comprendre,
que Nerval voulait substituer au chapitre II déjà remis un autre texte. Il y a donc deux versions du chapitre II,
sans doute liées toutes deux à l’événement important qu’a été dans la vie de Gérard la mort de Mme Houssaye.
Nous avons appelé ces deux versions la
version de l’aveu
, première en date, et la
version de la discrétion
.”
Impeccable reliure de Loutrel en maroquin souple.
50 000 / 60 000
€




