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10

3. APOLLINAIRE (Guillaume). L

ETTRE AuTOGRAPHE à

L

OuISE DE

C

OLIGNY

-C

HâTILLON

(L

Ou

), intitulée

Ombre

de mon amour... - 2

e

lettre

,

ET CONTENANT uN POèME éROTIquE AuTOGRAPHE

. [Nîmes, jeudi 1

er

avril 1915],

4 pages écrites au recto dont 2 grand in-4 sur papier quadrillé (273 x 210 mm) et 2 pages in-4 (275 x 180 mm),

sous chemise demi-maroquin noir moderne.

15 000 / 20 000 €

2

e

LETTRE D

’O

MBRE DE MON AMOUR

AVEC uN POèME éROTIquE DE

10

VERS

.

Entre cette lettre et la précédente eut lieu la triste rencontre de Marseille, le 28 mars, ultime tête-à-tête entre Apollinaire et

Lou : “où les amants face à face ne s’étaient retrouvés que pour mieux se perdre” (André Rouveyre,

Apollinaire,

p. 185).

à partir de ce jour-là, Apollinaire va tenter, “par la littérature, une étonnante récupération de l’amour perdu, avec les lettres

qu’il intitule

Ombre de mon amour

, sorte de monologue épistolaire destiné à la publication : entreprise vite abandonnée, à

la seconde de ces lettres.” (M. Décaudin). Le titre même donné par Apollinaire au livre qu’il commence (et ne finira jamais),

est révélateur : l’amour de Lou n’est plus désormais qu’une ombre, un simple prétexte à chanter la vie, l’amour et la guerre.

“Il lui adresserait une double correspondance : l’une serait personnelle et privée ; l’autre, écrite au recto seul, formerait un

livre Lettres à Lou ou Correspondance avec l’ombre de mon amour : Lou conserverait cette seconde partie et la lui prêterait

pour l’impression “ (L. Campa, p. 540). Il commença donc le 31 mars au café Tortoni. Celle-ci est la “2

e

” et dernière lettre.

Débutant par un poème et se terminant par un conte fantastique, cette lettre a été commencée au café Tortoni et terminée

sur un autre papier à lettre chez une jeune-fille et son père qui l’ont invité à dîner. Lou n’y est plus évoquée qu’au passé :

Il vient de recevoir son

gentil billet banlieusard

(Lou était à Neuilly). Il parle d’elle avec nostalgie :

Allons, chère ombre,

voici que selon une juste métamorphose tu t’es pour moi changée en torche et flamme tordue, flamme couleur de tes

propres cheveux, c’est la liberté que tu éclaires, toi qui es la rébellion. Je sais pourquoi j’ai tant aimé à Nice cette flamme

orange qui parut un midi sur la place Masséna, c’est que j’aime par-dessus tout cette liberté, cette rébellion

.

Vient ensuite

uN BEAu POèME AuTOGRAPHE

de dix vers, assez libre, où le corps de Lou est décrit comme une carte géographique :

Les fleuves sont des épingles d’acier semblables à tes veines où

roule l’onde trompeuse de tes yeux

Le cratère d’un volcan qui sommeille mais n’est pas éteint

C’est ton sexe brun et plissé comme une rose sèche

Et les pieds dans la mer je fornique un golfe heureux

C’est ainsi que j’aime la liberté

Suit un récit, sous forme de conte, dans lequel Apollinaire s’imagine transporté

dans un bouge de je ne sais quelle cité

marine d’une colonie anglaise. Au centre de la pièce, il y avait un tapis sur lequel plusieurs couples, matelots et putains,

faisaient la bête à deux dos. Autour de la salle qui était grande des consommateurs de même sorte buvaient

. Il y rencontre

une vieille femme, avec qui il se retrouve dans un parc, au bord d’un lac :

“Monsieur, me dit la vieille, c’est à vous de pêcher

dans le joli lac et nul doute que vous ne soyez content de votre capture”. Elle me fit un effroyable sourire et piqua une tête

dans le lac

[...]. Il s’interrompt :

la gosse est venue me prendre au Tortoni

[café de Nîmes]

pour dîner chez eux ce soir

. C’est

de là qu’il continue sa lettre : [...]

il vint au bout de ma ligne une jeune femme nue qui tenait l’hameçon entre les dents. Ses

seins étaient aussi jolis que les tiens ce qui n’est pas peu dire ; on eût dit que deux jeunes chats montraient là leur museau

rose

...

Elle sauta gracieusement sur la rive

[...]

sorte de nuée où apparaissaient les traits des amantes d’antan une à une et

ensemble distinctes quoique confondues. Tu étais au-dessus transparente certes et la plus visible

[...]

et toutes, toutes comme

des scylles vous finissiez en queue de poisson...

Mais il doit finir :

Maintenant, on vient me chercher

[...]

Je ne peux plus

écrire, car on essaye de lire. A demain, Ombre de mon cher amour.

Le matin même, il lui écrivait “Je te quitte ; écrirai ce soir la 2

e

lettre d’

Ombre de mon amour

. Dis-moi ce que tu penses

de cette œuvre inspirée par ce sacré petit Lou que j’aime beaucoup et qui est la plus mignonne et la plus gentille petite

amie indomptée que le genre féminin, l’éternel féminin ait jamais produit” (Nîmes, jeudi 1

er

avril 1915).

La réponse de Lou datée du 3 avril explique peut-être l’abandon du projet : “Epatant mon Gui ce que tu m’envoies comme

projet de bouquin ! Mais pas à publier !!!! Je ne veux pas que l’univers entier connaisse certain vice dont tu parles avec

une clarté déconcertante ! […] Mon Gui, je t’en prie, ne publie pas

notre

roman… il est à nous ! et j’éprouverais la plus

atroce souffrance à ce que mon moi soit livré au public […] Dédie-moi tes bouquins ! J’en serai très heureuse et très fière

Je veux être ta Muse

— Mais ne raconte pas notre cher roman”.

Apollinaire fut bien plus bouleversé par l’entrevue de Marseille qu’il ne voulut le laisser paraître : il renonça à poursuivre

l’école d’officiers de Nîmes, si fondamentale pour lui et se porta immédiatement volontaire pour le front. quittant Nîmes

le 4 avril, il arriva le 6 à la 43

e

batterie de son régiment, dans la région de Mourmelon-le-Grand.

Lettres à Lou

, éd. M. Décaudin, lettre n° 101, p. 233-235. —

Correspondance générale,

édition de V. Martin-Schmets, t. 2,

1915, n° 820, p. 257-259 ;

Lettres reçues par Guillaume Apollinaire

, édition de V. Martin-Schmets. t. 1, 1915, n° 4, p. 750-751.

Restaurations à l’adhésif en bordure du second feuillet avec manque de papier (7 mots).