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Lettres & Manuscrits autographes

26 mai 2020

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PICABIA Francis (1879-1953)

L.A.S. « F. », à Christine BOUMEESTER ; 2 pages in-4 (qqs petites

taches).

Très belle lettre à son amie

.

« Il ne faut surtout pas voir quand il sera Temps. Non parce qu’il

le faut – pourquoi le faudrait-il ? – mais simplement parce qu’on le

désire ; parce que, pour attaché qu’on soit à un être, et quelque

bouleversement qu’il nous produise, il ne peut entériner avec lui

toutes les raisons de vivre. Il faut lui faire croire qu’il est intelligent et

que nous l’avons cru ami, non par faiblesse. Il y a quelque chose de

détestable, comme une trahison anticipée, dans la préméditation de

vivre avec lui. Que cette lâche faiblesse nous renseigne sur nous-

même. Ainsi nous ne serons pas entièrement idiot ou criminel !

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PONGE Francis (1889-1988)

7 L.A.S. « Fr. Ponge » ou « Francis Ponge », 1929-1943, à Pascal PIA ;

9 pages formats divers, enveloppes et adresses (fente à une lettre).

Belle correspondance littéraire et amicale

.

Samedi [19.X.1929]

. Il a très envie de le voir bientôt, « quoique je

vous aie peut-être dégoûté l’autre jour, ou paru idiot. J’espère que si

MALRAUX

est très occupé ou s’il ne désire pas me rencontrer, chose

que je comprendrais très bien […] cela ne nous empêchera pas de nous

voir »…

Décembre 1929

, rendez-vous à la Nationale…

[30.XII.1929]

. Il

a lu l’article d’Emmanuel

BERL

dans les

Nouvelles Littéraires

: « c’est

une ordure, un tissu grotesque d’âneries sans nom : je savais bien que

je ne me trompais pas au sujet de ce type. J’espère que pour Malraux et

vous lorsque vous aurez lu ce torchon il sera jugé aussi sans retour »…

Mercredi [8.I.1930]

. Il est allé voir une pièce soviétique,

La Rouille

:

« c’est un mélodrame à thèse (genre : “le baiser mortel”, pièce prophy-

lactique) mais l’atmosphère est très bien (comités, poètes, nepmen,

jeunes-communistes etc.), les bourgeois des fauteuils d’orchestre y

étouffent un peu, ce qui ne m’a pas paru désagréable »…

Samedi soir

[Bourg-en-Bresse

30.I.1943]

. Lettre cryptée de la Résistance : « À la

fin d’une longue lettre reçue hier qu’il m’a écrite au sujet du

Parti-Pris

et du

Mythe

, A.C. [Albert

CAMUS]

me proposait de le rencontrer à St

Étienne où il descendra » ; Ponge s’y rendra et s’arrêtera à Lyon pour

voir Pia. « Un mot de Jean [

PAULHAN

] aujourd’hui qui me dit entre

autres qu’il a été content de voir C. à son passage, – et qui donne

sur l’oncle André (c’est l’oncle Édouard sans doute qu’il veut dire) les

détails suivants : “Bonnes nouvelles de l’oncle André. C’est l’hôtel d’à

côté qui a été démoli. Pas le sien” »…

4 février 1943

. Il a passé une

bonne journée avec

CAMUS,

« vraiment sympathique ». On lui a refusé

son laissez-passer ; il a trouvé une petite maison à Coligny (Ain)… Il

va aller passer quelques jours avec Camus, « couchant au Chambon

et mangeant au Panelier », et il propose à Pia de se joindre à eux.

« Ici, tout va bien. Nos champs sont déjà étoilés de pâquerettes, et les

troupes sont fraîches, qu’on commence à entraîner aux marches d’été,

la vareuse déboutonnée »… Puis sur ses poèmes : « Enfin, profitant de

ce que nonobstant pas encore les contingences, et sans abandonner

tout à fait la Lessiveuse, l’Eucalyptus ou l’Araignée, je me suis attelé à

l’Homme (parfaitement) – sur lequel il reste peut-être quelques petites

choses à dire (les plus simples et les plus flagrantes naturellement,

comme l’atrophie progressive de ses doigts de pied par exemple,

ou sa désaffection à l’égard des notions de péché, de rachat ou de

damnation) »…

On joint

un télégramme (1943) ; une carte postale a.s. d’Odette Ponge

(et signée par Francis) de New York (déc. 1966), un carton d’invitation, et

un tract imprimé :

Mais pour qui donc se prennent ces gens-là ?

(1974).

1 500 - 2 000 €

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PROUST Marcel (1871-1922)

L.A.S. « Marcel », « jeudi en rentrant » [23 décembre 1897 ?], à « mon rat

gentil » [Lucien DAUDET] ; 6 pages in-8 (petites fentes aux plis).

Très belle et tendre lettre de consolation peu après la mort d’Al-

phonse Daudet

.

[Alphonse Daudet, décédé le 16 décembre 1897, a été inhumé au Père-

Lachaise le lundi 20 décembre ; Proust est tendrement attaché à son

fils. La lettre semble INÉDITE (elle ne figure ni dans la

Correspondance

éditée par Philip Kolb, ni dans

Mon cher petit. Lettres à Lucien Daudet

(éd. Bonduelle).]

Il a été triste de ne pas le voir ce soir, mais, souffrant, il est allé tard

dîner chez Durand avec Bibesco et Blum, « et comme Bernstein est

venu pendant le dîner nous retarder il était plus d’onze h ½ quand

nous avons eu fini. Sans cela je serais peut-être passé chez vous »,

ou encore, demain, bien qu’en principe il ne puisse sortir deux jours

de suite ; mais sa sortie l’a rendu beaucoup plus malade : « je sens

vraiment que ce sera impossible. Et je pensai à vous, à ce qu’il y a de

cruel pour moi à ne pas être plus maître de mon corps et à ne pou-

voir aller près de vous, à être dans cet état de santé que votre père

m’avait prédit et sur lequel il m’avait conseillé de veiller avec cette

clairvoyance de génie et de bonté qui s’il vivait pourrait sans doute

tous nous guider vers des choses merveilleuses. Quelque admiration

sans bornes qu’il eût pour vous je me demande par moments s’il vous

a entièrement connu, si la réserve, ou la timidité, enfin l’ensemble de

choses qui naissent des rapports de famille, ne fait pas que vous l’avez

involontairement privé de tout un côté de vous-même et s’il n’est pas

mort sans avoir su que en vous le plus exquis et le plus profond de son

esprit était intégralement transmis. Peut-être y a-t-il en cela quelque

chose de plus sacré et de plus attendrissant que vous ne pouvez le

sentir vous-même qui ne vous extériorisez pas assez pour vous rendre

compte de ce qu’il y a en vous – de sorte que votre esprit célèbre pour

moi chaque jour une sorte d’anniversaire de votre père en esprit et en

vérité. Non seulement vous êtes sa chair et vous êtes son sang, mais

il y a en vous comme une sorte de présence réelle de son esprit qui

n’était peut-être pas en vous au même degré quand il vivait mais qui a

effectivement passé en vous pendant ces jours de brouillard et de nuit

où nous pleurions ensemble au pied du lit où il reposait – comme une

sorte de survivance plus douce encore que son immortalité qui lui a été

accordée d’habiter ainsi votre corps chéri – et comme une consolation

pour vous de vous sentir vivifié et guidé par son esprit. Évidemment

les mystères à l’âme nous dépassent de beaucoup trop pour que

nous puissions savoir si ces choses doivent être pensées à la lettre ou

comme une figure. Mais il n’y a pas plus de difficulté à les admettre que

la transmission même des dons de l’esprit que personne ne songe à

contester et qui si on y pense un instant est tout aussi mystérieuse. Par-

donnez-moi mon cher petit de vous parler d’une manière si ennuyeuse.

Mais c’est un jour de “méditation” pour vous, et d’“élévation” d’“Élévation

sur les mystères” [allusion à Bossuet] et c’est un de ceux auxquels je

trouve le plus doux et le plus naturel de croire que votre père qui vous

aimait tant et était si fier de vous se réjouit perpétuellement de votre grand

esprit et se

complaît

à vous au sens des paroles de la Transfiguration.

“Celui-là est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis ma complaisance” »…

4 000 - 5 000 €

Détail

Il faut être saisi, par un goût incoercible à la vie. Il n’est pas admisible

qu’en nous attendant derrière ce qui est derrière, nous réaliserions un

bonheur pour longue date. Tu sais c’est par surprise qu’il faut savoir

rester vivant, et ne pas croire qu’on nous octroie un sursis, de lever pour

nous une condamnation. Car alors nous sommes aussitôt rempli à leur

égard de compassion, mais trop lugubre pour notre pensée. Tâche

de rapprendre que tu vis. Je suis un peintre qui sait bien mal écrire !

Il faut de temps en temps examiner les hommes, si notre prochain

raisonnait d’une façon désintéressée il refuserait la force en faveur de

la douceur. Prêtes-tu attention à la société, car celui qui ne s’y soummet

et se permet de choisir ne peut qu’avoir des blâmes – moi je n’accepte

les conditions de personne : les mécontents faibles c’est-à-dire ceux

qui sont les moins inventifs veulent étayer la vie. Les peintres sont très

malades, mais il[s] doivent une grande reconnaissance à leur incurabilité

et à la transformation de leur mal, mais cela engendre une irritabilité

intellectuelle qui peut équivoquer avec le génie. L’humanité naïve, trop

fréquente peut nous rendre disciple de nous-même. Mais un homme

doit se dire qu’il se trompe ! Et que cela ne peut pas être la vérité […].

Vivre c’est s’éloigner de toutes les choses qui doivent mourir. Il faut

être cruel et implacable contre tout ce qui est faible et vieux et cela

pour nous-même »…

600 - 800 €

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