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Lettres & Manuscrits autographes
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26 mai 2020
« Quand je serai crevé, vous les lirez en pensant au pauvre vieux
zèbre, qui a tant, tant couru »… Il espère donner avant la fin de l’année
son
Journal de curé
, un autre roman arrangé avec les 120 pages de
la première « seconde partie » d’
Un crime
, et son grand roman de
Monsieur Ouine
. « Autre chose peut-être encore, car je me suis mis à
écrire mon journal […], je crois que ce sera assez beau. Émouvant, du
moins »…
[Vers le 10 mai]
. Il vitupère contre les conseillers littéraires
de Plon et leurs critiques sur la nouvelle version de la seconde partie
d’
Un crime
: « Ce qui est idiot, c’est d’avoir refusé la première version,
et d’avoir exigé de moi une besogne épouvantable et tâcheron. Des
experts littéraires comme Massis, et ce demi-guignol de Gabriel Mar-
cel, il y a de quoi faire rire un cancéreux, cher ami ! »… Après le travail
de forcené, l’angoisse et l’incertitude de cette année il aura besoin
de repos moral : «
je ne puis plus me passer
d’un peu de sécurité. Je
suis à la limite de mes forces »...
Jeudi [16 mai]
. La perte des pages
l’a rendu malade, mais il a refait les pages perdues : « songez que je
suis depuis six mois en pleine crise, en pleine transformation […] Je
me suis engagé dans une espèce de roman policier, que j’étais résolu
à écrire rapidement, dont je ne savais même pas si je le signerais de
mon nom. Et je crois avoir fait beaucoup mieux que ça. […] J’aurais dû
me jeter à corps perdu dans un grand livre, un très grand livre... J’en
serais sorti, je le sens bien maintenant – trop tard, hélas »...
[29 mai]
.
Il écrit les dernières pages d’
Un crime
, et pense terminer rapidement
« un second roman » [
Un mauvais rêve
] en utilisant les pages écartées.
Il ne proteste pas « contre la nécessité de travailler pour vivre », mais
contre des conditions de travail « si précaires, si inhumaines »…
[Vers
le 7 juin]
. Il a « grand hâte à reprendre mon
Journal d’un curé
», et fait
le point sur les avances de Plon…
[Mi-juillet]
. Il donne des précisions
sur les fragments envoyés et insiste sur leur qualité, supérieure à celle
d’
Un crime
, égale au « meilleur de
L’Imposture
(que Mauriac met si haut)
tout en étant beaucoup plus public, beaucoup plus accessible »… Il
a commencé avec
Un crime
« une nouvelle période de ma pauvre vie
d’écrivain. Ce livre, entrepris et terminé selon une inspiration et une
méthode de travail toutes nouvelles pour moi, ne me satisfait donc qu’à
moitié. Mais avec celui que j’écris en ce moment (
Un mauvais Rêve
) – le
Journal d’un Curé de Campagne
, et
Monsieur Ouine
, revu et retouché
à ma manière, vous tenez une série qui, je l’affirme, vous fera honneur.
Il me semble que ce n’est pas le moment de me décourager »...
Lundi
[7 octobre]
: « Je vous en prie, donnez-moi des apaisements, la sécu-
rité au moins jusqu’à l’achèvement de mon
Journal d’un curé
. Je n’en
peux plus »…
31 décembre
, annonçant aussi l’envoi de 40 pages du
Journal d’un curé de campagne
: « Le chapitre que je viens d’écrire
était essentiel – car je veux que ce livre ait
tout son sens
. À présent
mon curé va apprendre qu’il a un cancer, et mourra la nuit même, d’une
hémorragie dans des circonstances qui.... enfin, je crois vraiment tout
cela assez beau »...
[Avril ?
1936
]
, envoyant la fin du
Journal d’un curé de campagne
:
« J’ai l’impression d’avoir exprimé quelque chose de ce que j’avais, dès
le premier jour, rêvé d’y mettre »… Il s’est remis à
Monsieur Ouine
…
[Mai ?]
, envoyant 40 pages de
Monsieur Ouine
, il proteste d’être jugé
par Gabriel MARCEL, « ce philosophe musicographe que le bon Dieu
ne réussirait même pas à détortiller […] ce pou me hait depuis la publi-
cation de
La Grande Peur des bien-pensants
, sur laquelle il a écrit un
article fiel-vinaigre et eau bénite »…
[Fin 1936 ?]
, il réfléchit beaucoup
à un projet : « J’imagine une
Vie de Jésus
racontée à ses paroissiens
par mon curé – ou par le Curé de Torcy ?... Mais ce n’est pas encore
très clair dans ma tête, et je travaille à ma nouvelle. La
Vie de Jésus
de
MAURIAC m’a soulevé de colère. Quelle machine à torpiller les âmes ! »...
25 janvier
1937
: « Je crois qu’on pourrait garder son nom de Mouchette
à l’héroïne de ma nouvelle et intituler celle-ci Une Nouvelle Histoire
de Mouchette ou Une Autre Mouchette ou simplement Une Autre »…
Toulon 20 novembre
. Il ne cesse de réorganiser les chapitres de son
manuscrit. « Lorsqu’il n’y a pas de trame romanesque, il faut bien choisir
l’ordre logique le plus capable de s’accorder avec le rythme et l’élan
du livre, sans le briser »…
Toulon mardi [1
er
mars
1938
]
. Il approuve la bande pour les
Grands Cimetières
: « La guerre d’Espagne est un char-
nier » ; suppression d’un paragraphe concernant le C.S.A.R.
[Comité secret d’action révolutionnaire, « la Cagoule »].
« Ce n’est pas le C.S.A.R. qui m’étonne, c’est l’extrême indulgence
qu’on montre à ces sinistres guignols dont la police italienne tient les
ficelles, et qu’elle a d’ailleurs pris soin de brûler, lorsqu’elle a cru juger
que le scandale serait assez grand pour déclencher, par contre-coup, la
révolution de gauche qu’elle appelle ardemment de ses vœux. Car vous
ne me ferez tout de même pas croire que M. MUSSOLINI souhaite une
France grande et prospère »…
Mardi
. Il renvoie des épreuves et termine
sa conclusion. Il veut bien supprimer le nom de Massis, mais pas celui
de BRASILLACH : « Je ne vois pas d’ailleurs ce qu’il y a de méprisable
à faire l’oraison funèbre d’un ennemi mort au champ d’honneur. Ça me
paraît beaucoup plus dégoûtant de lécher les bottes de Franco. D’ailleurs
Brasillach est un petit salaud »… – Il demande 6000 francs pour fêter
la publication des
Grands Cimetières
... –
Mercredi [11 mai]
. Il ne craint
pas la publication de son livre dans le journal de Buré [
L’Ordre
], cela
servira ses idées, exprimées avec modération : « la part de polémique
personnelle a été réduite à l’extrême. Que désirer de plus ? Je ne veux
pas avoir l’air d’être dupe, ou solidaire, de prétendus amis politiques
nourris à la gamelle romaine, ou qui, trop pauvres garçons pour intéres-
ser Mussolini, se contentent d’un petit pourboire du général FRANCO.
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BERNANOS Georges (1888-1948)
34 L.A.S. « GBernanos » et un télégramme, [1930-1945],
à Maurice
BOURDEL, aux éditions Plon
; 106 pages formats divers, quelques
en-têtes d’hôtel ou restaurant et enveloppes.
Importante et très intéressante correspondance littéraire à son
éditeur
.
De nombreuses lettres sont relatives à
Un
crime
(1935), mais aussi
au
Journal d’un curé de campagne
, à
Monsieur Ouine
, aux
Grands
Cimetières sous la lune
. Nous ne pouvons donner ici qu’un bref aperçu
de cette riche correspondance. [Bernanos publia la plus grande partie de
son œuvre chez Plon, à commencer par
Sous le soleil de Satan
(1926),
L’Imposture
(1927),
La Joie
(1929),
Jeanne relapse et sainte
(1934),
Un
crime
(1935),
Journal d’un curé de campagne
et
Nouvelle histoire de
Mouchette
(1936),
Les Grands Cimetières sous la lune
(1938).]
Toulon [décembre 1930]
. Il regrette de n’avoir vu Bourdel lors de son
passage à « la vieille maison de la rue Garancière », devant laquelle
il passait enfant. Il demande s’il ne serait pas possible de réduire sa
mensualité au lieu de la supprimer…
[Palma] mardi [18 décembre
1934]
, avant l’envoi du tapuscrit d’
Un crime
: « Je voudrais que le
lecteur cherche lui-même la solution du problème, parallèlement à
l’enquête. Mais en relisant mon texte, j’ai confiance d’avoir fait quelque
chose de mieux qu’un roman d’aventures ou de police. Ganse, Olivier,
Évangeline – ces types-là ne me semblent pas indignes de leurs frères
ou sœurs du
Soleil
de
l’Imposture
ou de
la Joie
. Mais je ferai mieux
encore. Vous allez voir »...
Dimanche [20 janvier
1935
]
. Il réclame le
retour de son manuscrit pour refaire la seconde partie du roman en
cinquante pages, « et la rendre accessible à Monsieur Lebrun lui-même
(président patriote de la Super-patrie française, championne de la civi-
lisation gréco-romano-tarasconaise en face de la Barbarie orientale et
asiatique, dont la frontière est à Sarrebruck et à Sarrelouis, comme nul
n’en ignore). […] En retour, je m’engage à n’utiliser
en rien
la seconde
partie actuelle, dont il me sera ultérieurement facile de tirer un conte
de cent pages, pour le volume de nouvelles à paraître ultérieurement
chez vous. [...] Du point de vue de mon métier, que j’ai la prétention
(ridicule, il est vrai) de connaître peu, mais tout autant que le pou de
bénitier Marcel (Gabriel) c’est la seule solution possible. Je ne nie pas
qu’ayant commencé un roman policier j’aurais dû persévérer dans cette
noble entreprise. C’est toujours le truc de Mouchette qui recommence,
et des histoires de Mouchette, je pourrais vous en foutre dix par an ».
Il ironise sur le drainage de son cerveau, « organe qui ne m’a jamais
donné que du souci, et quand je n’aurai plus qu’une paire de fesses
pour penser, j’irai l’asseoir à l’Académie »…
4 février
. Il projette d’abréger
la première partie, et d’en envoyer une centaine de pages…
Lundi [18
février]
. Il regrette d’avoir écouté ses censeurs, qui peuvent se tromper
en visant le public « indéterminé, cultivé quoique sans préférences
très particulières […] C’est dans ce public que travaillent des écrivains
aussi différents, par exemple, que Colette ou Bordeaux, ou Maurois,
ou Mauriac. […] Et puis, il y a des écrivains qui se créent un public »…
Malgré des malentendus, des brouilles et des réconciliations, « si l’écri-
vain ne se décourage pas, s’efforce de se chercher et de se renouveler
sans cesse, l’union devient parfaite »… Difficile de déterminer ces
liens. « Évidemment vous me direz que depuis
la Joie
, j’ai bien perdu
le contact avec mon public. Et je sens très bien que c’est là votre pré-
occupation à tous. Mais, je vous assure, mieux vaut rompre le contact,
que de décevoir. Quand on a dû tout – même le succès matériel – à
une certaine manière (brutale presque) de forcer le lecteur dans ses
habitudes, ses préjugés, le pis serait de se mettre à la suite d’exploiter
indéfiniment son scandale. Il me semble que mes trois romans font un
tout. Après
la Joie
, on pouvait prévoir que je me recueillerais, pour livrer
une autre bataille. Croyez-vous que le public, au fond, ne comprend
pas ce silence ? »... Il évoque les erreurs critiques d’un Daniel Halévy
et d’un Gabriel Marcel ; lui-même estime que
La Paroisse morte
[
Un
crime
] est « le plus grand effort de ma vie d’écrivain »... Il ajoute : « Vous
verrez ce que sera mon
Journal de Curé
! Mais qu’on ne m’enfonce
pas ! Qu’on me laisse vivre ! »…
[Vers le 25 avril]
, sur l’avancement
d’
Un crime
, dont il promet la fin pour le 10 mai : « raconter des histoires
aux pauvres types alors que se prépare l’inauguration solennelle (en
musique) des prochains charniers, avouez que c’est vraiment “bluffer
l’homme” […] refaire cette seconde partie a été (au point de vue métier)
un travail très accablant », dont témoignent ses cahiers de brouillons : :
Je
sais
d’autre part, que l’épuration continue de plus belle en Espagne.
Un jésuite éminent de là-bas disait publiquement, voilà 15 jours, qu’une
véritable restauration du catholicisme en Espagne devrait être précédée
de l’extermination des éléments irréductibles, dont il évaluait le chiffre
à deux millions. Comment pourriez-vous espérer que je me taise, en
de pareilles conjonctures ? […] À la grâce de Dieu ! Le jour, peut-être
prochain, où l’on publiera les fonds secrets de M. Mussolini – comme
on a publié ceux du gouvernement tsariste – tous les salauds ne seront
peut-être pas morts »… Il espère que si Maurois aime le livre, il écrira
une préface à l’édition anglaise : « Il expliquerait si bien ce qu’un pauvre
type comme moi représente de la France incorrigible »... Etc.
On joint
une l.a.s. de Robert Vallery-Radot concernant des livres
dédicacés de Bernanos.
4 000 - 5 000 €