152
les collections aristophil
la marche laborieuse de son esprit vers des convictions, et l’action
lente de Dieu sur l’esprit humain : en témoignent ses relations avec
les pères jésuites, inconcevables il y a peu. « Avec tout ce qu’il y avait
en moi de faux, d’incomplet, d’outré, de mauvais, et même de bon, il
y avait de quoi perdre dix mille hommes ; la bonté divine me sauve,
je ne sais pourquoi. J’ai trente-quatre ans, et il est vrai [de] dire que
mon éducation n’est achevée sous aucun rapport. Je sens une foule
de pensées qui attendent de nouvelles lumières, semblables à ces
ouvrages interrompus qui oÀrent aux yeux des ruines trompeuses.
Né dans un siècle troublé jusqu’au fond par l’erreur, j’avais reçu de
Dieu une grâce abondante dont j’ai ressenti dès l’enfance le plus
tendre des mouvemens ineÀables ; mais le siècle prévalut contre
ce don d’en haut »… Quand la grâce le jeta au séminaire, il se trouva
« vivant du siècle et vivant de la foi, homme de deux mondes avec
le même enthousiasme pour l’un et pour l’autre »…
8 septembre
.
L’éducation maternelle se fit plutôt par l’action que par la bouche,
d’où ses embarras de parole, sa nature sauvage : « je sens plus que
jamais mes défauts, à mesure que le christianisme pénètre dans
mon âme »…
11 octobre
. Sur ses visites aux environs de Rome, ses
fréquentations, les lectures qui le fortifient : les dogmes théologiques
du P. Pétau, un ouvrage sur les antiquités ecclésiastiques, la
Sainte
Élisabeth
de Montalembert… Il s’inquiète que Lamennais prépare une
relation de leur voyage à Rome en 1832 : « Montal. n’a pu obtenir
qu’il se désistât de ce projet. C’est une aÀaire grave […]. Montal. pense
qu’il faudra nous séparer de ce
compte-rendu
par un désaveu public.
Envoyez-moi aussi le
factum
dont je suis menacé, s’il voit le jour »…
26 novembre
. Demande d’une audience papale ; tristesse ressentie
à la lecture d’
A aires de Rome
de LAMENNAIS : « je ne m’attendais
pas à trouver ce mépris sourd et continu du malheur de l’église,
cette habileté implacable qui dépouille l’épouse divine de tous ses
restes de gloire pour la montrer à tout l’univers nue, pauvre, souillée
de plaies, et toute crucifiée comme son maître. Il y a là un triomphe
sur la misère, et sur quelle misère ! qui fait frissonner d’un bout à
l’autre. Ensuite une cessation de foi si sensible à chaque phrase, et
un souvenir si présent de ce que fut la foi dans ce cœur, que l’âme
en est consternée […] Voilà la première fois depuis dix-huit cents ans,
qu’un homme, par suite d’une désobéissance à l’église, a passé de
la foi à l’incrédulité »…
15 décembre
. Il a écrit une lettre sur le Saint-
Siège qui fera quelque 100 pages, « un chant » et non une polémique
dont les jésuites sont contents et dont il soumettra le manuscrit à
M
gr
CAPACCINI : « il le mettra sous les yeux du Pape, quoique sans
me le dire et sans que je puisse m’en prévaloir autrement que pour
ma conscience ; s’il me dit d’aller en avant, je puis croire que j’obéis
directement au S
t
Père, et que je suis, pour ainsi dire, le défenseur agréé
du Saint Père cruellement outragé »… Instructions pour la réception
et la transmission du manuscrit, et la fabrication de l’imprimé…
21
décembre
. Citation d’un extrait d’une lettre du chargé d’aÀaires de
Belgique : le cardinal Lambruschini et M
gr
Capaccini sont satisfaits
du manuscrit confié à la secrétairerie d’État : « Ce qui surtout a fait
plaisir, c’est la démonstration à la fois claire, ingénieuse et logique,
que la guerre n’est plus qu’entre
le rationalisme et le catholicisme
,
etc. »… Il remercie Dieu d’avoir pu, « dans une occasion douloureuse »,
défendre le Saint-Siège à sa satisfaction…
29 décembre
. « Le Saint
Père a été très satisfait de ma lettre, et il a dit :
Je le reconnais bien
là
»… Cependant la stratégie consistera à laisser le pape en dehors,
et à défendre le Saint-Siège dans « un mouvement tout spontané
de ma foi »…
1837
.
5 janvier
. Il vient d’écrire à Mgr de QUÉLEN : « Je le laisse libre
de jeter mon manuscrit au feu, mais non d’y faire des retranchements
et des changements ou d’en ajourner la publication. M
gr
Capaccini
m’a dit : je vais voir le pape, il saura que si la brochure ne paraît pas,
ce sera par suite de votre obéissance à votre évêque, et vous aurez
accompli de tous les côtés votre devoir tout entier »…
28 mars
. Il
n’espère plus rien de l’archevêque, « qui n’eût eu qu’un seul moyen de
ramener mon cœur vers lui par une démarche spontanée, et en ce cas
même ma raison n’eût pas accédé à ce que la reconnaissance m’eût
arraché. J’aurais admiré sa générosité ; je n’aurais pas été convaincu,
paru dans les journaux religieux une lettre de M
gr
l’évêque de Rennes
à M. de La Mennais postérieurement à la dernière Encyclique, pour
le conjurer de s’y soumettre, sans faire attention à l’
indignité de celui
qui l’en pressait
. La réponse est en deux phrases de politesse, et ne
touche en rien le fond »… Hommage à sa conseillère : « Nul depuis
dix ans n’avait dirigé ma vie que moi seul, avec mon esprit encore
mal formé, enthousiaste, hardi, aventureux, quelquefois bizarre. […]
Vous m’avez pris au moment où mes catastrophes m’avaient averti
de la diculté de la vie et de l’orgueil de mon temps passé. Cela est
inoubliable »…
13 septembre
. La joie de son amitié a doublé sa paix et
sa reconnaissance envers Dieu. « Jamais Dieu ne m’a manqué ; mais
depuis mon voyage de Rome j’éprouve chaque jour qu’il agit sans
mesure avec moi. Cela m’eÀraye, car je suis bien au-dessous de la
sainteté où je devrais être »… Il manque de direction, et en appelle à sa
tendresse « surnaturelle » pour le guider : « Soyez mon S
t
Jérôme »…
14 octobre
. Exposé de l’évolution de sa pensée sur la question de
la reprise de ses conférences : les arguments de Monseigneur ; les
réflexions d’amis sur sa situation morale et les nouveaux grands
vicaires, tous jeunes ; sa crainte d’adversaires ; sans orgueil, « je ne
sens en moi qu’une grande compassion pour cette jeunesse avide de
doctrines religieuses »…
8 décembre
. Il expose longuement les réactions
sur l’éventuelle reprise de ses conférences, entre l’encouragement
(Guizot) et l’opposition (Quélen), et la confusion (Dupanloup, AÀre),
ce qui l’amène à opter pour la publication seule…
1835
.
30 mars
. Touché de son invitation à demeurer près d’elle, il
craint de blesser sa mère : « je me suis déjà séparé d’elle une fois
pour habiter avec M. de La M. »… Mais s’il ne pouvait pas rester à
la Visitation, ce serait un cas de force majeure…
9 novembre
. Prière
de remettre au porteur le Christ de Berlin, « le premier que j’aurai
depuis que je suis au monde »…
1836
.
16 janvier
. « J’ai été bien agité tous ces temps-ci ; mais le calme
renaît avec la pensée que je fais mon devoir en obéissant et en allant
tant que la Providence me portera »…
Dijon 24 avril
. Expression d’« un
grand sentiment de mélancolie et de religion », en retrouvant la ville
de sa jeunesse…
Chazoux près Mâcon 2 mai
. Voyant qu’il a « mal
apprécié la situation de votre âme à mon égard, et qu’elle a reçu une
blessure plus forte que je ne le croyais », il avoue son incompréhension,
après six semaines d’intimité, de confiance et d’aÀection. « Vous me
connaissez assez pour savoir qu’il y a bien des choses que je sens
et que je n’exprime pas susamment. Je n’ai jamais été moins en
train d’une résolution que de celle-ci ; j’ai quitté Paris […] sachant
que j’abandonnais des chances assez naturelles de voir ma carrière
se fixer »…
Marseille 10 mai
. Nouvelles de son voyage, en particulier
de son séjour à Aix, où une députation de 30 ou 40 jeunes gens de
l’École de droit est venue au palais archiépiscopal pour lui demander
un discours. « J’ai eu mille peines à me tirer de leurs griÀes, en leur
promettant le premier avent que je prêcherais en province. Je suis
toujours mal habitué à ces démonstrations publiques, faute de pouvoir
trouver cette parole agréable et demi-solennelle qui est nécessaire
dans ces circonstances. Je suis toujours trop froid, peut-être par
sincérité. Je ressens aussi de la peine de ne pouvoir monter en
chaire au premier désir d’un seul homme ; il semble que la parole
divine ne devrait jamais être refusée, et que je suis trop politique
dans ma conduite »…
Rome 25 mai
. Premières démarches : rencontre
de M. de Falloux, décision de loger chez l’habitant ; il dira sa messe
au
Gesu
... « J’ai été assez triste les premiers moments »…
21 juin
. Le
cardinal vicaire, le cardinal secrétaire d’État, les pères jésuites, ses
compatriotes et le Pape lui ont fait un accueil parfait. À l’audience du
6 juin, le pape « a ouvert les deux bras, en disant d’un air tout joyeux :
ah ! l’abbate Lacordaire !
et pendant que je baisais ses pieds, il m’a
pris la tête dans ses mains, en la pressant avec aÀection, et me disant
tout de suite après :
Je sais que l’église catholique a fait en lui une
grande acquisition
»… Autres détails confidentiels sur l’accueil fait
à ses livres, la bénédiction et l’adieu du Saint Père, et la « position
parfaite » où il est avec les pères jésuites : mise à sa disposition de
leur bibliothèque, accueil du père général, marques d’attachement…
Fréquentation de la princesse BORGHESE…
25 juillet
. Réflexions sur




