230
les collections aristophil
793
SAINT-EXUPÉRY Antoine de
(1900-1944) aviateur et écrivain.
MANUSCRIT autographe, [
Lettre aux Français
, 1942] ;
31 feuillets in-4 écrits au recto à l’encre noire sur papier pelure
américain filigrané
Esleeck Fidelity Onion Skin
.
15 000 / 20 000 €
Première version inédite de la
Lettre aux Français
appelant les Français
à s’unir pour sauver la France
.
[Saint-Exupéry, exilé aux États-Unis, se trouve dans une situation délicate :
il ne veut pas choisir entre Vichy et De Gaulle, tout en voulant combattre
le nazisme et l’Allemagne d’Hitler. Choisir De Gaulle est dicile pour lui,
alors que le général n’est pas reconnu par le gouvernement américain.
Après l’occupation de la « zone libre » le 11 novembre 1942, voulant
alors rassembler les Français vivant aux U.S.A. et convaincre l’Amérique
d’intervenir dans la guerre, il rédige un appel aux Français pour une
allocution radiodiÀusée le 29 novembre 1942 sur les postes américains
émettant en langue française et largement reproduite dans la presse,
recueillie dans
Un sens à la vie
, maintenant éditée sous le titre
Lettre
aux Français
(Pléiade, t. II, p. 69-73).]
Ce texte est un premier jet, avec ratures, corrections et additions
marginales, à pagination discontinue, de la
Lettre aux Français
, très
diÀérent du texte définitif. Nous n’en citerons ici que de brefs extraits.
« Français de mon pays, j’ai longtemps refusé de m’adresser à vous.
[...] Je me sens français. La France n’est point une. Je ne suis pas la
France. Je suis de France. [...] Cette guerre, Français, nous avons eu
l’honneur de l’engager contre la raison des logiciens. Nous pensions
qu’il était grand temps de nous dresser contre le nazisme. Nous étions
sentinelle avancée. Nous avons regardé autour de nous et nous n’avons
rien vu sur qui nous appuyer. [...] Les problèmes qui pèsent sur notre
génération sont inextricablement contradictoires. Époque sans frontière
claire. Or la frontière passe à travers la nation. Quelquefois à travers la
famille. Toujours à travers l’homme. [...] Tout pouvait craquer si craquait
notre frontière. [...] Nous portions sur nos épaules un poids plus lourd
que 1914. [...]
Certes nous étions contre l’armistice. C’était un rite de soldats, nous
n’étions pas responsables de cette France au ventre ouvert et qui
répandait ses entrailles sur les routes embouteillées. [...] L’armistice une
fois sollicité nous avons émigré en Afrique du Nord. J’ai volé en avion
Farman quadrimoteur sur le terrain de Bordeaux. J’ai embarqué à bord
de jeunes pilotes recrutés par deux de mes camarades et amis, au hasard
de nos promenades nocturnes. Nous avons débarqué notre cargaison à
Alger. Nous pensions poursuivre la guerre. Mais l’armistice a été conclu.
L’Armistice valait pour l’Afrique du Nord [...]
Nous avons pensé, nous, que Vichy avait une fonction. [...] cette structure
provisoire ne représentait rien du pays réel ». Elle a pu cependant éviter un
départ massif des hommes vers les camps allemands, qu’aurait imposé
une administration allemande... « Je ne fais pas crédit de ce miracle à
tel ou tel. J’en fais crédit à l’obscure conscience française répandue à
travers les bureaux, les oces, les postes de commande principaux ou
secondaires, et qui s’exprimant par les voies oÀertes, crises ou résistances
ou menaces – dans la mesure où certains pays tels que l’Afrique du
Nord nous permettaient des menaces – a réussi avec une sorte de génie
organique à sauver quelque chose de la France et à refuser quelque
chose à l’envahisseur. Le terme de l’Armistice a été pour lui une erreur
fatale car croyant à la capitulation immédiate de l’Angleterre et à la
légende d’un HITLER hypnotisant le monde avec le génie du satanisme
et prenant dans ses mains le contrôle de la planète sans avoir eu à verser
le sang allemand (et ceci me paraît capital) l’Allemagne a consenti à la
France un avantage dont les eÀets se fussent amenuisés d’eux-mêmes
au cas d’une victoire rapide et totale ». Mais Vichy ne tenait « que des
gages fantômes »... Etc.
Provenance
: Nelly de VOGÜÉ (vente Drouot 27 novembre 1990, n° 258) ;
Bibliothèque Dominique de VILLEPIN,
Feux & Flammes
, I
Les Voleurs
de feu
(28 novembre 2013, n° 154).




