228
les collections aristophil
792
SAINT-EXUPÉRY Antoine de
(1900-1944) aviateur et
écrivain.
MANUSCRIT autographe, [
Appel aux Américains
, 1942] ;
2 pages et demie in-4 sur 3 feuillets de papier pelure jaune
paginées a à c.
3 000 / 4 000 €
Vibrant appel inédit aux Américains pour entrer en guerre et sauver
la France du nazisme
.
Il sort de l’exposition de l’Art Français : « J’en sors avec colère.
Cézanne, Van Gogh, Renoir, mes contemporains, mes frères » ; mais
ce monde lumineux est menacé par le maréchal Pétain et les nazis,
qui ne permettent pas de vivre à ceux qui ne pensent pas comme
eux. « Ne dites point que ce n’est pas votre aÀaire. Car vous tenez les
clefs. On ne choisit pas les clefs que l’on tient. Si l’un de vos enfants
se noie devant vos yeux ce n’est point mon aÀaire. Ce n’est point
ma faute si je détiens la clef de lui tendre les bras et de le sauver. Et
pourtant cette clef dont je n’ai point choisi que Dieu brusquement me
la mette en main, je n’ai point le droit de l’ignorer. Elle m’est tombée
comme un héritage parce que je suis homme. Si ce n’est point cela
être homme je voudrais bien que vous m’expliquiez ce que vous
appelez une civilisation. Et particulièrement une civilisation chrétienne.
[…] Être homme c’est être responsable. Et dans la mesure où je suis
homme je suis responsable du sort des H[ommes] ».
Et il évoque son propre engagement [dans le Groupe 33 et la bataille
d’Arras, évoqués dans
Pilote de guerre
] : « Nous pensions mourir – et
je me suis battu – et j’ai refusé pour me battre d’aller vivre pendant
la guerre la vie heureuse et en tous cas en sécurité des États-Unis. […]
Nous avons perdu dans mon groupe dix-sept équipages sur vingt-
trois. J’ai accepté dix-sept chances sur 23 de laisser les os dans
cette histoire. Et puisqu’il faut, dans ce pays, obligatoirement, que
l’on soit agent de quelque personne j’étais agent de l’homme. […] je
reconnais un homme dans l’homme même s’il ne pense pas comme
moi. Autrement ce n’est pas l’homme que je vénère c’est moi. Et cela
est de secte barbare. Et la vie de l’homme si j’en tiens la clef dans
mes mains alors j’en suis responsable. Je n’ai point le libre choix de
mes devoirs. Ce serait trop facile. Je pense qu’il y a même là une
définition cachée du devoir le devoir c’est ce que l’on ne choisit pas.
[…] Qu’est-ce qu’une démocratie qui se résume en droits et qui oublie
tous ses devoirs ? […] Moi je vous présente le passé pour vous faire
toucher l’avenir. Moi je vous dis cette exposition de l’art français,
cette lumière, voici que vous tenez la clef de cette lumière, voici
que vous tenez dans les mains le pouvoir d’empêcher de sombrer
le navire qui charrie de tels trésors. […] Pasteur a sauvé plus de vies
humaines qu’aucune armée. […] Il y a quelque part un Pasteur enfant
qui crève de faim, […] un Renoir enfant. Il y a un navire qui sombre et
vous le regardez sombrer parce que vous n’aimez pas le capitaine !
[…] Et pourtant vous êtes grand, vous avez un président dont je n’ai
jamais lu que de hautes paroles ! Vous êtes généreux. Pourquoi tout
à coup cette logique formelle ? Vous résolvez une équation et au
nom de sa solution vous infligez la mort. Vous l’infligez parce que
vous détenez le pouvoir de sauver. Si un enfant se noie à ma portée
et que je détourne les yeux c’est moi qui l’assassine ».
Provenance
: vente Artcurial, 16 mai 2012 (n° 389).




