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les collections aristophil
LES ANNÉES 1920 - 1930
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SCHMIED FRANÇOIS-LOUIS
(1873-1941)
Correspondance de vingt-huit lettres autographes signées
adressées à Paul de BORMANS.
1925-1933, 29 lettres et pièce à l’encre sur papier dont deux
beaux manuscrits sur l’art de Schmied. Environ 40 pages
de formats divers, plusieurs enveloppes conservées.
(Une lettre avec marge découpée par Schmied et infime
atteinte au texte).
5 000 / 7 000 €
Correspondance adressée à son ami bibliophile et critique Paul de
Bormans. Ces lettres offrent un témoignage irremplaçable sur l’illustration
de ses livres et sur les autres domaines de son travail d’artiste dans sa
période de maturité. Les livres illustrés qui « macèrent sous le tympan
des presses » (26 janvier 1925). François-Louis Schmied évoque ses
projets aboutis ou non, ses réalisations, ses peines et ses réussites,
livrant de précieuses indications sur Les Climats, Daphné, Le cantique
des cantiques, Kim, Peau Brune, Paysages méditerranéens, Faust...
« Les émaux magnifient mes pauvres aquarelles... » (25 février 1932).
La présente correspondance permet de suivre les travaux de Schmied
pour ses émaux monumentaux, notamment Le Chemin de croix et
L’Arbre de science de l’Eden, et de comprendre à quel point cette autre
technique artistique lui tenait à cœur : « Depuis 25 jours et autant de
nuits, je travaille devant les fours de Baudin. La résistance a des limites.
J’ai été au-delà pour essayer de réveiller une étincelle dans l’âme
morte de mes contemporains... » (29 avril 1932). Schmied s’initia à la
technique de l’émail à la fin de 1931 dans l’usine de fonte jurassienne
de Laurent Monnier, et y accomplit plusieurs réalisations de 1932 à
1934 dont un Chevalier normand pour le paquebot Normandie. « Le
décorateur de livres... est un décorateur tout court... » (20 mars 1933).
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SARTRE JEAN-PAUL
(1905-1980)
Lettre autographe signée adressée à l’écrivain
René CATINAUD.
S.l., 12 septembre 1938, 2 pages in-4 carré à l’encre
sur papier quadrillé.
1 200 / 1 500 €
« Je sais que Le Mur est inférieur à La Nausée et je crois savoir
pourquoi ». Critique et autocritique après la publication de La
Nausée. Le lycée Pasteur de Neuilly est une ruche de philosophes.
Sartre, mais aussi Robert Merle, Daniel-Rops et René Catinaud y
enseignent. La parution de La Nausée, en avril 1938, a un retentissement
considérable. Un coup de maître qui a propulsé Sartre au premier
rang des philosophes. Son ami René Catinaud avait ouvert le bal, un
an plus tôt, chez Gallimard, avec L’Épée du roi. Un succès qui stimule
son écriture. Un second roman paraît, Portonéro. Sartre, qui vient
de faire un séjour au Maroc, donne son sentiment. Un avis exposé
sans complaisance. « Je ne te cacherai pas que ça me plaît moins
que « l’épée du roi ». Tu sais combien j’avais aimé ton premier livre,
le personnage de Fernande et toutes les luttes de Morat ». Pourquoi
ce choix d’un personnage « si loin de mes préoccupations que je
l’aurais cru si loin des tiennes » ? Sartre, dérouté, souligne une erreur
d’appréciation. « Te rappelles tu que tu me disais : « Notre chance,
c’est que nous ne sommes pas arrivés », la dernière fois que je t’ai vu.
Et c’est bien vrai. Mais, justement, pourquoi donc peins-tu quelqu’un
qui l’est et se dégoûte de l’être. Et comme ce génie qui se tarit pour
la première fois est si loin de ta propre vitalité et fécondité ».
Schmied évoque également son activité de décorateur d’intérieur qu’il
ne conçoit pas comme indépendante de son travail sur les livres :
« On est décorateur ou on ne l’est pas, et, qui décore (ce terme ne
pouvant pas dans mon cas se remplacer par : illustre) un livre peut
aussi bien décorer un mur » (même lettre). Il indique ainsi qu’il doit
embellir l’appartement parisien de son ami Laurent Monnier, et qu’il
espère recevoir la commande du décor de la salle des séances du
Palais des Nations. Les conceptions esthétiques sans concession.
Schmied affiche son élitisme en termes d’exigence personnelle, puis
définit de manière subtile son statut de créateur de livres : « on ne doit
pas dire que Morand commente mes illustrations. C’est le contraire
(qui n’est peut-être pas vrai) qu’il faut dire » (20 mars 1933). Il se
montre ensuite critique envers le milieu des collectionneurs, destinant
son travail « aux dix ou quinze amateurs dignes de porter le titre de
bibliophiles. Les autres sont de bas exploiteurs ou des commerçants
sans oublier une belle bande de crétins » (15 juillet 1931). « Je fais des
cartons pour les Gobelins » (23 juin 1932). Schmied annonce aussi sa
première commande de cartons par la manufacture qui en tissa les
tapisseries entre 1933 et 1935.
Schmied livre quelques instantanés de son bonheur à créer, dans
son atelier parisien de la rue Hallé ou dans la maison qu’il louait à
Wissous en Île-de-France : « la seule bonne chose que me donne
la vie est, maintenant, le silence de mon petit studio » (vers janvier
1933), et « j’étais si bien dans mon petit studio avec le Lama de Kim »
(21 janvier 1932). Il évoque par ailleurs ses déplacements à Berlin en
1931, à Genève en 1932, au Maroc en 1933 : « Je pars ce soir pour le
Tafilalet... Dès mon retour j’irai vous montrer mes études du désert !
[…] » (18 janvier 1933). « Notre groupe... une sorte d’école... contribue
fortement à l’essor français de l’art décoratif, notamment dans les
laques et la typographie... (20 mars 1933).
Au fil des lettres apparaissent les noms des artistes qui, avec Schmied,
formaient le « groupe des quatre ».
Il poursuit : « Tu me diras qu’il n’est pas de loi interdisant de traiter des
sujets de pure fiction et je suis d’accord avec toi. Mais il me semble
que ta force même te rendait moins capable qu’un autre d’imaginer
un type comme Cégore. Quelle différence avec Morat, qui vivait sur
tous les plans à la fois : celui-là ne vit que sur un seul plan ». L’analyse
le renvoie à son propre destin littéraire. « J’ai toujours entendu dire
que le second livre d’un auteur est moins bon que le premier. Je
sais que Le Mur [qui sera publié quelques mois plus tard, en février
1939] est inférieur à La Nausée, et je crois savoir pourquoi. Puisque
nos sorts sont parallèles, je nous souhaite à tous deux un troisième
livre qui vaille mieux que les deux premiers réunis ». Cette critique
terminée, Sartre évoque sa tournée de quarante jours au Maroc « qui
m’a permis d’apprécier les méthodes et l’esprit de nos colons ». Sur
le bateau du retour, à mots couverts, il laisse percevoir ses craintes
pour l’avenir. « De temps en temps, la radio nous sort un petit extrait
du discours de Hitler. C’est moins amusant […] ».




