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les collections aristophil

LES ANNÉES 1920 - 1930

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PROUST MARCEL

(1871-1922)

Lettre autographe signée adressée à Jean-Louis

VAUDOYER.

S.d. [1

er

mai 1921], 5 pages in-12 à l’encre sur papier,

enveloppe conservée.

2 500 / 3 000 €

Cette lettre est contemporaine de la rédaction de la fameuse analyse

du « petit pan de mur jaune » contenu dans le tableau de Vermeer

à l’origine d’un des chapitres clés d’

À la recherche du temps perdu

,

et que le destinataire de cette lettre venait de lui révéler dans un de

ses articles.

« 44, rue Hamelin Cher ami, […] Hier, j’ai lu un Ver Meer où vous aviez

moins l’occasion peut-être de vous livrer, mais qui me touche plus

que tout. Depuis que j’ai vu au Musée de la Haye la Vue de Delft,

j’ai su que j’avais vu le plus beau tableau du monde. Dans Du côté

de chez Swann, je n’ai pu m’empêcher de faire travailler Swann à

une étude sur Ver Meer. Je n’osais espérer que vous rendriez une

telle justice à ce maître inouï. Car je sais vos idées (très vraies) sur

la hiérarchie dans l’Art et je le craignais un peu trop Chardin pour

vous. Aussi quelle joie de lire cette page. Et encore je ne connais

presque rien de Ver Meer. Je me souviens d’avoir, il y a bien quinze

ans, donné une lettre à Vuillard pour qu’il allât voir une copie de Ver

Meer que je ne connais pas, chez Paul Baignères. […] ».

Vermeer (que Proust écrit à l’ancienne « Ver Meer ») fut son peintre

préféré depuis l’âge de vingt ans, ainsi qu’il l’écrivit dans une autre

lettre à Jean-Louis Vaudoyer. Ce fut aussi devant cette

Vue de Delft

qu’il éprouva un malaise, un an avant sa mort, lors de l’exposition des

Peintres Hollandais au Jeu de Paume en avril-mai 1921, en compagnie

de Vaudoyer. Ce malaise, Proust le fit éprouver plus gravement, dans

La Prisonnière

, à son personnage Bergotte, lequel venant admirer ce

fameux « petit pan de mur jaune » parce qu’un critique d’art (Jean-Louis

Vaudoyer) dans une chronique récente l’avait comparé à « une précieuse

œuvre d’art chinoise, d’une beauté qui se suffirait à elle-même »,

succombe à une crise cardiaque. Ce petit pan de mur jaune symbolique

donne l’une des clés de l’écriture de Proust, qui fait murmurer à Bergotte

ces derniers mots : « C’est ainsi que j’aurais dû écrire, disait-il ; mes

derniers livres sont trop secs : il aurait fallu passer plusieurs couches

de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse comme ce

petit pan de mur jaune ». Le destinataire de cette lettre, l’écrivain et

ami intime de Proust, Jean-Louis Vaudoyer, a raconté cette visite au

Musée du Jeu de Paume dans une lettre à Jacques Rivière, datée

du 9 janvier 1923, après avoir lu dans le numéro d’hommage à Proust

de la NRF les pages sur la mort de Bergotte : « Proust connaissait

parfaitement Vermeer ; il l’aimait avec la plus fidèle passion. Je peux

vous raconter […] de quelle manière il a employé (si l’on peut dire), pour

la Mort de Bergotte, une visite que nous fîmes ensemble un matin de

mai (ou de juin), en 1921, à l’exposition hollandaise du Jeu de Paume,

où la Vue de Delft figurait. […] Il avait lu avec beaucoup de bienveillance

et d’indulgente amitié, une étude sur Vermeer que j’avais donnée à

L’Opinion, et le passage sur le « petit pan de mur jaune » le frappa […]

Ce matin-là, au Jeu de Paume, Proust était extrêmement souffrant […]

Plusieurs fois il revint s’asseoir sur ce « canapé circulaire » d’où roule

Bergotte pour mourir ». Lettre citée par Jean-Yves Tadié,

Marcel Proust

(Paris, Gallimard, 1996, pp. 873-874).

Romancier, poète, essayiste, c’est d’abord comme critique d’art que

Jean-Louis Vaudoyer (1883-1963) acquit sa notoriété auprès du grand

public, en collaborant à

L’Écho de Paris

ainsi qu’à plusieurs autres

revues. Très tôt porté vers les arts, il fut un temps attaché libre au

Musée des Arts décoratifs, avant d’être nommé conservateur du

Musée Carnavalet. Il fut l’un des plus fidèles et amis de Marcel Proust.

Correspondance de Marcel Proust

, éd. Kolb, tome XX, pp. 226-232.

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PROUST MARCEL

(1871-1922)

Lettre autographe signée adressée à BINET-VALMER.

S.l., [mai 1921], 6 pages in-12 à l’encre sur papier,

sous emboîtage demi-maroquin bleu nuit.

4 000 / 5 000 €

Lettre autographe signée à Jean-Auguste-Gustave Binet, dit Binet-

Valmer, écrivain franco-suisse proche des anciens combattants de

droite dans les années 20 et admirateur de Marcel Proust.

« Cher et grand ami. Vous êtes trop bon de parler de moi avec cet excès.

Ne parlez plus de moi. Pour me défendre de justes reproches mêlés à

vos trop indulgents éloges […] à la fin du 3eme volume de Sodome II, on

voit l’évolution d’une scène […] tous les invertis sont des allemands […] Il

y a un seul fait sur lequel nous ne sommes pas d’accord je ne crois pas

que la guerre ait détruit mais au contraire développé l’inversion. J’ajoute

que ceux qui étaient antérieurement investis ont été souvent d’héroïques

soldats. […] Mais j’ai toujours épuisé mes sujets quels qu’ils fussent. Je

ne me plais pas plus avec celui-là que Flaubert avec les personnages

de la Bovary. Et hélas c’est à mille et cent mille pieds au-dessous de

la Bovary. Mais c’est la faute de mon talent non de mon sujet. […] ».

Portrait de Marcel Proust intégré dans l’emboîtage.

Superbe lettre de Marcel Proust.

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PROUST MARCEL

(1871-1922)

Billet de PROUST malade, avec une ordonnance du Dr BIZE.

S.d. [octobre 1922], 1 page in-12 oblong à l’encre sur papier.

2 000 / 3 000 €

Un mois avant sa mort : « Ne restez pas j’ai tant de fièvre que peut être

cela me permettra d’éviter de nouvelles quintes. Quelle est cette bière

que j’ai bue il y a 2 heures. Je voudrais un tricot autour d’une boule

(je vous l’avais déjà demandé). J’ai fait de très jolis vers sur vous ».

Reproduit dans Philipp Kolb,

Correspondance de Marcel Proust

, t.

XXI, n° 353.

L’on joint

une ordonnance du docteur Bize (Paris, 27 février 1918,

1 page in-8 à l’encre sur papier). Marcel Proust faisait souvent venir le

docteur Bize, et, sous le prétexte d’avoir besoin de soins, l’interrogeait

longuement afin d’enrichir son œuvre de sources médicales.

Rare document.

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PROUST MARCEL

(1871-1922)

Billet de PROUST malade : ses dernières lignes,

écrites quelques heures avant sa mort.

S.d. [18 novembre 1922], 1 page in-8 oblong à l’encre

sur papier. (Tâche de bol de café).

2 000 / 3 000 €

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«

Céleste Odilon peut partir dans 10 minutes, et rentrer vers 6h1/2,

7h du matin. Approchez de moi la chaise»

. Au verso, texte à l’encre

de sa main : «

J’avais entendu fer au lieu de verre

».

A propos de ce billet reproduit dans son ouvrage Monsieur Proust

(annexe, p. 144), Céleste écrit : « Sur le dernier en bas [celui-ci], il y a

la trace du bol de café qu’il essaya de prendre en me disant : « Pour

vous faire plaisir à vous et à mon frère ». Il était à peu près sept heures

du matin. Il est mort à quatre heure et demi de l’après-midi ». Le

16 novembre, la faiblesse pulmonaire de Proust lui cause une crise

épouvantable ; le 17, il se sent mieux.

Dans la nuit du 17 au 18, il fait venir Céleste près de lui « [...] vous

allez vous installer là dans le fauteuil, et nous allons bien travailler

tous les deux [...] si je passe la nuit, je prouverai aux médecins que

je suis plus fort qu’eux ». A trois heures et demi il doit s’interrompre,

l’abcès au poumon crève. A sept heures du matin, il demande un bol

de café. Puis commence à délirer. Céleste appelle alors le docteur

Bize et Robert Proust, qui accourent. Ils se succèderont tous deux

à son chevet, l’un lui administrant une piqûre de camphre, l’autre lui

posant des ventouses ou des ballons à oxygène. Proust s’éteindra

vers quatre heures et demie de l’après-midi, il n’avait que cinquante

et un ans. Reynaldo Hahn, un des premiers à arriver rue Hamelin où

Proust venait de s’éteindre, se chargea de prévenir par pneumatiques

ou téléphone les proches de Marcel Proust de son décès. Il veillera

le corps avec Céleste.

Proust sera enterré le 22 novembre au Père Lachaise après des

obsèques grandioses dans la chapelle de Saint-Pierre-de-Chaillot où

tout le Paris mondain et littéraire vint lui rendre un dernier hommage.

Barrès, le parapluie accroché à l’avant-bras, dit à François Mauriac

qu’il rencontra ce jour-là : « Enfin, ouais ... c’était notre jeune homme »

(André Maurois, A la recherche de Marcel Proust, Hachette, 1949, p. 310).

Émouvant document.