Previous Page  55 / 228 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 55 / 228 Next Page
Page Background

53

Littérature

Il s’étonne de n’avoir pas reçu les remerciements de son amie, après avoir pris sur lui de faire « à M

me

de B[ouglon] & à Péladan un

sort impossible. […] Ce sont mes

imprudences

très calculées, je vous prie de le croire, qui ont eu ce résultat infiniment précieux pour

vous de vous donner le beau rôle & de couvrir d’ignominie vos adversaires, quelle que puisse être pour moi l’issue du conflit ». Il a

pu « contraindre

C

oppée

à parler, ce que sa lâcheté

proverbiale

lui aurait certainement interdit. […] Son devoir strict, au lendemain de

l’interview de Péladan, était de donner immédiatement à ce parfait drôle, le démenti le plus éclatant […] le pauvre Coppée n’est pas un

paladin, il est même parfois d’une couardise qui étonne [...] & c’est pour cela, sans doute, qu’on l’a fourré à l’Académie. Cependant, mis

en demeure de donner

verbalement

son témoignage, il dit la vérité qui écrase vos ennemis en même temps que les miens »… Il ne faut

pas s’inquiéter des conséquences du procès : « Ma seule crainte est de voir avorter ce bienheureux scandale que j’ai préparé avec tant

de soin. Sachez que je regarde Péladan comme mon bienfaiteur & que ce procès me paraît la chose la plus favorable qui me soit arrivée

depuis des années ». Il a un fameux avocat « qui m’a offert spontanément ses services par admiration pour moi (car il y a des gens qui

savent que je suis un écrivain) & qui viendra de Moscou à Paris tout exprès pour me défendre »…

Quant à son article sur

H

uysmans

, il est « d’une modération incroyable. […] ce n’est pas moi qui ai cessé d’être l’ami de Huysmans,

mais qu’au contraire, c’est Huysmans qui s’est éloigné de moi contre toute justice, malgré mes efforts pour le retenir, car j’étais assez

bête pour lui pardonner le mal atroce qu’il m’a fait. Sa maladresse a été extrême. Il pouvait me paralyser en me continuant ses grimaces

d’affection dont j’aurais été la dupe généreuse. Il ne l’a pas fait & quand son abominable livre a paru, rien ne pouvant plus me rete-

nir, j’ai dit la vérité tout entière. Dieu merci ! Quant aux bavardages malveillants ou imbéciles qui peuvent vous être débités sur mon

compte, vous seriez très aimable de me les épargner. Vous n’ignorez pas la vaillance de mon mépris & que je me fiche absolument des

opinions & des convenances d’un certain monde dont les idées ou les sentiments sont à mes yeux comme de la boue. […] Mais j’ai le

droit d’exiger de vous comme je l’aurais exigé de M. d’

A

urevilly

lui-même, que mon caractère & mon

indépendance

d’écrivain soient

exactement respectés. […] Quand j’écrirai sur l’auteur du

Prêtre marié

, soyez d’avance persuadée que je ne consulterai que ma conscience

& qu’aucune considération de lâche convenance ou d’étroite sagesse n’agira sur ma volonté. […] Vous savez aussi bien que moi que M.

d’Aurevilly était l’homme le plus facile à tromper (preuve Péladan, A. Hayem, etc.) & par conséquent tout à fait incapable de se défendre

surtout vers la fin. Il était donc nécessaire de le dire pour exprimer l’infâmie du trio d’assassins. [...] J’ai toujours crié ma pensée sur les

toits. Ceux donc qui m’approuvent ou m’admirent en ayant peur d’afficher leur sentiment sont pour moi des chiens, des

chiens muets

,

comme dit Isaïe, & je bénirai toute occasion de les traiter comme tels. [...] En résumé, je vous demande uniquement d’être juste pour

moi, autant que vous fûtes bonne & de ne pas me traiter en petit garçon : c’est le moyen d’obtenir beaucoup de moi, l’unique moyen.

Vous savez très bien comment je vous aime, pourquoi je vous aime & à quel point je vous aime. Cela ne peut pas être effacé. Mais il

faut de toute nécessité accepter cette évidence que je n’appartiens pas à vos préjugés mondains & que j’échappe sûrement toutes les fois

qu’on veut me saisir avec le grappin des convenances. Il faut accepter Léon Bloy tel qu’il est, avec sa main pesante & cruelle, si on veut,

en considérant que cette main n’est après tout que le prolongement d’un cœur généreux bouillonnant contre l’injustice »…

172