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de celles que le temps a consacrées et de celles qui jouissent de la faveur officielle. Toutefois vous m’avez vu hésitant il y a quelques
jours lorsque vous m’avez fait part de votre intention de recomposer pour l’exposition de New York le panneau des revues, manifestes,
etc. de ces soixante-dix dernières années […]. D’après tout ce que je sais de l’optique américaine, il me paraît dérisoire […] suprêmement
vain de proposer à l’attention des visiteurs de là-bas le tableau de sept mètres sur deux dans lequel, en toute conscience je le sais, vous
vous serez efforcé de faire saisir l’évolution poétique, extraordinairement accidentée, de Nerval jusqu’à nous. L’exiguïté d’un pareil
cadre fait qu’il n’y a rien là qui se puisse imposer à l’œil,
donc à ce spectacle stupéfiant, sombrement humoristique, d’un vieux manuel
de très basse classe où Rimbaud pouvait faire l’objet d’une note en bas de page mais où par contre on s’étendait, on se vantait sur des
œuvres grotesques […] comme celle d’Alphonse Daudet. […] Par bonheur les étrangers, beaucoup mieux que les Français, savent à quoi
s’en tenir sur ce qui constitue les véritables valeurs spirituelles de ce pays. Ils disposent pour en juger d’un critère tout à fait sûr : celui
des influences subies. Ce qu’il est convenu ici de mettre en avant n’est pas nécessairement ce qui les touche. En particulier, l’accueil qu’a
rencontré le surréalisme aux États-Unis suffirait, selon moi, à nous dispenser de l’introduire dans la petite case (un mètre sur un mètre)
qu’on veut bien lui dessiner à cette occasion. L’important, à mes yeux, est que presque toute la peinture et la poésie américaines pro-
cèdent à l’heure actuelle plus ou moins directement du surréalisme : c’est là un fait incompatible avec la place on ne peut plus modeste
qu’on prétend lui assigner. […] Les objections que je voulais vous présenter sont aussi d’un autre ordre. Je ne suis aucunement séduit à
l’idée d’être incorporé à la tradition littéraire française quand celle-ci devient trop manifestement un article d’exportation. Il me plaît
très modérément d’être représenté même par une photo du format carte d’identité et par une phrase illisible dans le cadre du
Pavillon
français.
Je n’ai pas à me louer de la considération en laquelle me tiennent les hommes de ce pays qui prétendent avoir pour mission de
préserver les intérêts artistiques. Les quelques illusions de-ci-de-là que j’ai pu avoir à cet égard sont aujourd’hui parfaitement dissipées.
Ces hommes sont bien décidés à m’ignorer ; qu’ils souffrent donc que pour ma part je ne me reconnaisse envers eux ni dépendance, ni
solidarité. J’ai tenté de maintenir hors d’atteinte la forme d’expression qui s’est imposée depuis un siècle comme la plus vivante et la
plus prestigieuse. Je puis dire que j’y ai sacrifié toute la sécurité de ma vie ». Breton détaille ensuite plusieurs exemples de déceptions
et de projets non aboutis, impliquant notamment Anatole de Monzie, Julien Cain, Saint-John Perse, illustrant selon lui le mépris avec
lequel les poètes sont traités…
178.
André BRETON
. L.A.S., Paris 21 mai 1955, à
P
oucette
, aux bons soins de la Librairie Malherbe ; 1 page in-4 sur papier
vert, enveloppe (trous d’épingle).
800/1 000
B
elle
lettre de
félicitations
pour
son
roman
L
es
V
raies
jeunes
filles
,
qui vient de
paraître
(Gallimard, 1955) ; on joint un exemplaire
broché
.
« Je regrette presque de m’être toujours montré un peu hostile à cette cérémonie qu’est une signature de livre parce qu’autrement j’au-
rais voulu être ici des premiers, mercredi, à vous accueillir, à vous complimenter.
Les vraies jeunes filles
: oui, pour moi, elles s’expriment
à travers vous et les fées qui vous ont dotée de votre exquise apparence s’entendaient à faire la plus fine part du verre autour du parfum.
Et je vous ai toujours trouvée émouvante comme la première anémone Sylvie, celle qui doit avoir bien plus qu’une autre à se défendre
et dont les tout premiers frissons nous sont de la rosée au cœur. C’est ainsi que j’ai aimé votre livre,
le diamant de l’herbe
– comme
disait Forneret – à tout jamais fauchée de ce quartier
des prés
qui me fut cher. C’est vous dire, Poucette, combien je suis touché que vous
vous soyez référée une fois ou deux à
Nadja
, mais croyez bien que ce n’est pas l’absence de cela qui y eût changé quelque chose. Je vous
souhaite tout le beau bonheur sinon lucide du moins clairvoyant à quoi vos yeux visibles et intérieurs vous donnent droit et vous prie
de me croire de tout votre cœur votre ami »…
179.
André BRETON
. L.A.S., Saint-Cirq 28 mars 1956, au libraire
M
oncharmont
, à Paris ; ¾ page in-4, enveloppe (légères
rousseurs).
300/400
Il prie de lui réserver deux livres : « 1°
Le Grand Livre de la Nature
, lib. Du Merveilleux, 1910 ; 2° Burnouf :
Le Vase sacré
, 1896 »…
180.
André BRETON
.
Manifeste du Surréalisme. Poisson Soluble
(Paris, Éditions du Sagittaire, 1924) ; in-12, broché (dos légè-
rement passé), chemise demi-maroquin Lavallière, étui.
1 000/1 200
É
dition
originale
.
Exemplaire de Germaine Tunis, première femme de Georges Hugnet, portant cet
envoi
autographe signé à l’essayiste costaricain Léon
P
acheco
:
« A Léon Pacheco* très sympathique hommage
André Breton
*l’un des Aventuriers du Val d’Or, singulier mélange de férocité brutale et de bonhomie railleuse, ce livre tombé de sa selle aux pieds
de GERMAINE, avec les compliments les plus ensoleillés de l’auteur.
André, octobre 1936. »
181.
André BRETON
.
Second Manifeste du Surréalisme
(Paris, Kra, 1930) ; in-4, broché, chemise demi-maroquin bleu, étui.
1 500/2 000
É
dition
originale
.
E
nvoi
autographe signé à René
C
revel
:
« A René Crevel de tout cœur son ami
André Breton ».




