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CHARTE IMPÉRIALE DE L’ABBAYE
DE CORBIE
En latin, manuscrit sur parchemin,
Aachen [Aix-la-Chapelle],
août 825
80 000 / 100 000 €
9 ½ lignes longues et espacées avec 3 lignes
partielles d’attestations en bas, écriture de
chancellerie mérovingienne cursive et cal-
ligraphique avec plusieurs ligatures, les
hampes montantes légèrement penchées
vers la droite, première ligne et attestations
écrites entièrement en lettres hautes et
étroites, verso perpendiculaire au recto avec
titre de l’époque à l’encre brune et pâle en
cursive de chancellerie mérovingienne.
Au dos : transcription du XIII
e
siècle (voir
photo p.15-16).
Dimensions : 565 x 560 mm.
Marge de droite rognée, marge supérieure
abîmée, restaurations au vélin moderne, perte
d’environ 12 mots, sceau manquant, écriture
passée, souillures dues à un réactif, tâches
verticales au recto et au verso.
TEXTE :
« Au nom du Père et de notre sauveur Jésus-
Christ, les Empereurs Louis et Lothaire,
sachant que Dieu leur a donné le droit d’ac-
corder les justes privilèges et que ce droit
leur promet la vie éternelle, et proclamant
que, puisque le vénérable Adalard, premier
abbé du monastère de Saint Pierre, Saint Paul
et Saint Etienne du pays d’Amiens près de
la Somme, a demandé la protection impé-
riale pour l’abbaye et ses dépendances,
l’abbaye bénéficiera d’une liberté inalié-
nable, avec ses droits et ses privilèges et qu’il
aura le droit d’élire librement leurs abbés,
confirment ceci par leurs propres mains
et par le sceau impérial » [traduit du latin].
PROVENANCE :
1. Collection privée américaine. – 2. Paris,
Sotheby’s, 2 décembre 2004, lot. 170.
Ce document original est le plus ancien
encore conservé provenant du plus impor-
tant monastère français du début du Moyen
Age. Corbie, sur la Somme, près d’Amiens,
fut fondé au début du VI
e
siècle par la reine
de France Sainte Clotilde (qui meurt en 545)
mais les constructions avancèrent vraiment
sous l’égide de la reine régente Bathilde à
partir de 657. Corbie devient une abbaye
impériale sous Charlemagne. Il est à cette
époque probablement le plus riche et le
plus célèbre centre monastique d’Europe
du Nord. Sa bibliothèque était l’une des plus
belles de France, ses scribes pratiquant avec
art la calligraphie. Paschase Radbert écrira à
Corbie en 831 le premier traité théologique
consacré à l’Eucharistie.
La charte impériale de Corbie demeure cer-
tainement le plus vieux manuscrit médiéval
de provenance royale encore en mains
privées. Très peu de chartes manuscrites
antérieures à 1100 ont été conservées jusqu’à
nos jours. Moins d’une dizaine de manus-
crits du neuvième siècle sont aujourd’hui
connus. La connaissance actuelle des docu-
ments de la période carolingienne dérive
presque entièrement de copies plus tar-
dives. Le document présent fournit l’oppor-
tunité unique de comparer le texte impérial
d’origine avec les transcriptions ultérieures
pour ainsi établir la transmission de tels
écrits au cours des siècles. Il donne aussi
un aperçu fascinant des manières d’écrire,
de cacheter et d’envoyer les documents
officiels à l’époque carolingienne. La
question est d’autant plus cruciale que la
cour royale carolingienne était itinérante.
Les «justes privilèges» accordés par cette
charte à Corbie sont très importants. Corbie
pourra dès lors fonctionner en véritable
seigneurie, disposant de vassaux, de serfs,
d’hommes d’armes, d’avoués juridiques et
d’officiers militaires. L’abbaye peut battre
monnaie, exercer sa propre juridiction et
jouir de tous les privilèges attachés à la
terre féodale, dont l’impôt. La cour carolin-
gienne itinérante choisira de plus en plus de
séjourner dans les abbayes comme invitée
de marque.
Cette charte impériale fut accordée par Louis
le Pieux (778-840), fils de Charlemagne, qui
accède au trône à la mort de son père en
814. Il est couronné empereur en 816. En 817,
il décide qu’après sa mort, l’empire construit
par Charlemagne serait divisé en trois parties
administrées par chacun des trois fils de Louis :
l’Aquitaine pour Pépin, la Bavière pour Louis le
Germanique et le reste pour Lothaire, l’aîné, qui
reçoit aussi le titre d’Empereur à partager avec
son père et dont le nom figure logiquement
sur cette charte impériale officielle. Le texte
mentionne surtout que Louis et Lothaire l’ont
signée de leurs propres mains : « manibus
propriis subter eam firmavimus », puis en bas
à gauche du document : « Signum Hludovici
serenissimi imperatoris » et « Signum Hlothrii
serenissimi imperatoris ». Deux grands mono-
grammes « HL », le premier en haut à droite,
le second juste en dessous du premier, écrits
par deux mains différentes, d’une encre qui
n’est pas celle du texte, confirment la présence
exceptionnelle des signatures autographes des
Empereurs Louis et Lothaire, fils et petit-fils de
Charlemagne.
Le texte nomme le destinataire principal de
cette charte : « vir venerabilis Adalardus abba
senex », Saint Adalard (c. 753-827), petit-fils de
Charles Martel et cousin de Charlemagne. Il
commença sa carrière à Corbie en 773. Il fut
élève d’Alcuinet et l’un de ses plus proches
amis. De la fin des années 790 à la mort
de Charlemagne en 814, Adalard fut l’un
des conseillers impériaux les plus influents.
Mais il fut par la suite mêlé aux querelles
dynastiques de Louis le Pieux qui le bannit en
Allemagne en 815. Il fut rappelé à la cour royale
en 821 et finit par retourner à l’abbaye de
Corbie de 822 à 826. Selon toute probabilité,
Saint Adalard aurait lui-même fait le voyage à
Aachen pour obtenir cette charte et la rece-
voir directement des mains des Empereurs.
Cette charte était connue au Moyen Age. Il
y eut deux transcriptions par les scribes de
Corbie, desquelles les éditions modernes du
texte dérivent : une du XII
e
siècle (BnF. MS.
lat. 17758, fol.1v), une autre du XV
e
siècle (BnF.
MS. lat. 17758, fol.3r). Une grande partie de
la bibliothèque de Corbie fut dispersée au
XVI
e
. Un manuscrit de Corbie fut vendu par
Sotheby’s dans la vente Donaueschingen à
Londres (21 juin 1982, lot 3). Mais de toute
évidence, tous les documents d’archives de
Corbie furent conservés en un ensemble
plus ou moins intact jusqu’à la suppression
de l’abbaye à la Révolution. Ce document
fut étudié au XVIII
e
siècle par Dom Grenier
(
Recueil des pièces justificatives pour l’his-
toire de la ville et du comté de Corbie
, BnF,
collection de Picardie, vo. 53, fol. 12). En
1836, il était répertorié -abusivement- à la
Bibliothèque d’Amiens (
Documents histo-
riques inédits… publiés par M. Champollion-
Figeac
, I, Paris, 1841,
Rapports et notices
,
p. 439). Le texte du document original fut
publié pour la première fois par Theodor
von Sickel en 1867 (
Beiträge zur Diplomatik
,
V, p. 399, n° 9). Il était alors la propriété de
Jean-Baptiste Ledieu, à Amiens, et resta
dans la même famille au moins jusqu’en
1902 (voir Léon Levilain,
Examen critique
des chartes Mérovingiennes et Carolin-
giennes de l’abbaye de Corbie
, Paris, 1902,
les collections aristophil
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