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Ce goût pour le livre italien connut deux points forts. Le premier fut, en 1774, la dispersion de la

bibliothèque ou plus exactement de la

libreria

d'Albert-François Floncel. Ce grand amateur, avocat au

Parlement et censeur royal, membre de plusieurs académies de la Péninsule, avait réuni une collection, dont le

libraire Cressonnier dressa un catalogue de près de 8000 ouvrages en italien, recouvrant tous les domaines du

savoir. En détournant une qualité, somme toute secondaire d'un livre, son lieu d'impression, Floncel inventa

un thème de collection spécifique, qu'il développa, sur un mode totalisant et encyclopédique, dans les formes

codifiées de la bibliophilie du siècle des Lumières. C’est dans ce cadre et à travers les classifications raffinées

qu’il permet, qu'a été définie pour la première fois la série canonique des anthologies poétiques publiées par

les éditeurs vénitiens du XVI

e

siècle, qui accompagnaient quarante éditions du seul

canzoniere

de Pétrarque.

Cette italophilie en matière de livre s'expliquait sans doute pour des raisons personnelles chez Floncel ; elle

était favorisée par un marché du livre ancien à l'échelle européenne, alors en pleine expansion ; elle prenait

sens également dans un cadre culturel plus général, marqué par le progrès des sciences et le développement

des arts, auxquels l'Italie, en dépit de sa marginalisation politique, continuait d’apporter une contribution de

premier ordre.  

Le second point fort fut l'exposition consacrée au livre italien, organisée à Paris, au Musée des

Arts décoratifs et à la Bibliothèque nationale, au printemps 1926, par Tammaro De Marinis et Seymour de

Ricci, avec le concours des conservateurs français. Cet événement exceptionnel, placé sous le patronage des

plus hautes autorités politiques, diplomatiques et bibliophiliques (Louis Barthou, Henri Beraldi, le prince

d’Essling, Georges Wildenstein, parmi d’autres personnalités), présenta plus de mille livres italiens, les plus

exceptionnels, provenant des collections publiques parisiennes, italiennes et américaines, et de plusieurs

collections privées ou de grands libraires internationaux. À côté d'admirables manuscrits, de livres des XVI

e

au début du XIX

e

 siècle, d'Alde à Bodoni, de reliures rares, on trouvait une éblouissante collection d'incunables

illustrant de façon exhaustive tous les lieux où était né et où s'était développé l'art typographique dans la

Péninsule, du

De oratore

de Cicéron, imprimé à Subiaco par Sweynheym et Pannartz, avant le 30 septembre

1465, à l'unique exemplaire connu de l'

Utile meditatione

traduite de saint Bernard, imprimée à San Cesario

sul Panaro, par Ugo de Rugeriis, en 1499.

La petite collection ici mise en vente n’a ni l’ampleur de la

libreria

Floncel ni la somptuosité des

livres exposés en 1926. Néanmoins, elle mérite de susciter l'intérêt des amateurs. Riche de quelque 163

titres principaux, elle offre un bel ensemble de livres italiens, et présente, de façon cohérente et souvent à

travers des exemplaires de choix, un panorama complet de la production des presses et partant, de la culture

italienne sur près de quatre siècles. On y trouvera ainsi de belles impressions, dues aux typographes les plus

novateurs d’Alde (n

os

12, 40 et 108) à Bodoni (n

o

93), en passant par Tolomeo Gianicolo, imprimeur de Trissino,

des incunables de Milan, Florence, Venise, dont un beau Dante imprimé en 1491, et, couronnant le tout, un

monumentum typographicum

, la seconde édition du

De bello italico

de Leonardo Bruni, imprimé à Venise en

1471 par Nicolas Jenson dans l'élégant caractère romain dont il était le promoteur. Les presses italiennes ont

dans le même temps accompagné le développement de la littérature en langue vernaculaire, ici illustrée par

les « trois couronnes de la Toscane » (Dante, Pétrarque, Boccace) et d'autres grands auteurs (Arioste, Bembo,

Castiglione, leTasse), dont les chefs-d'œuvre sont accompagnés de nombreux textes rares, ainsi le

canzoniere

de

la poétesse Laura Battiferri. La collection réunit également de nombreux livres scientifiques, de la Renaissance

aux Lumières, dans tous les domaines du savoir (Aldrovandi, Algarotti, Euclide, Héron d'Alexandrie,

Pozzo), jusqu’aux formes les plus techniques des arts militaires ou de la cynégétique (Mora, Moretti,

Raimondi, Rocca), avec des raretés, tel le livre sur le droit des assurances de Baldasseroni (Florence, 1786).