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Rachilde plaide la cause des “vieilles dames qui sont malades, au seul titre de la logique” et par égard envers une

maison d’édition peu en odeur de sainteté :

Vous savez que je ne suis pas très fort ni en calcul, ni en autre choses, alors je suis obligé d’aller vers les gens

avec mon seul instinct. J’ai idée que ce petit exploit littéraire vous amènera des huissiers ou... quelque bol

de vitriole

[sic],

ce qui serait tout à fait idiot. Considérez que le livre en question est chez un éditeur peu en

odeur de sainteté et qu’il est très facile de le faire saisir pour une autre raison que celle de la lég

è

reté même de

l’ouvrage. Votre dessin lui ressemble assez pour parapher ses propres lettres y inscrites...

Je vois d’ici votre sourire impertinent mais je ne m’en inquiète pas parce que si je ne vous disais pas ces choses

à cause de ce sourire-là je serais purement et simplement un lâche et que la lâcheté ne rentre pas dans mes

habitudes.

[...]

Je vous en prie, prenez garde à votre peinture... de mœurs et tâchez, au moins, de n’y point

salir votre avenir de petit homme de génie.

Elle passe ensuite à un “autre crime”, chargeant son correspondant de lui trouver un bateau sur les rives de la

Seine avant de lui asséner : “Vous êtes bien méchant, Ubu !”

Je voudrais donner le mien aux jeunes pigeons que vous savez et en avoir un autre dans lequel je puisse entrer

sans le frisson de terreur qu’il me communique. Il faut que je prenne cette petite précaution contre mes nerfs

sans cela je ne pourrai pas troller cet été, je le sens.

Les deux lettres suivantes se rattachent au Phalanstère, maison louée à Corbeil par le couple Vallette et quelques

membres du Mercure de France – dont Jarry – en 1898. Expérience de courte durée, en raison notamment des

nombreuses méconduites de Jarry.

Regrettant sa vie encombrée de soucis qui la tiennent loin de l’écriture, elle fait allusion à la vie amoureuse

de l’écrivain (que celui-ci s’efforça sa vie durant à entourer de mystère), espérant, dit-elle, que “

de votre côté,

malgré les nombreuses Marie-Thérèse et les non moins nombreux petits garçons, vous avez le temps de lire, sinon

d’écrire, et que les soins que vous mettez à cambrioler vos voisins ou à voler leurs cocottes (je parle des poules tombées

dans le piège) ne vous empêchent pas de vous occuper de votre gloire future.

[...]

D’ailleurs, en automne, les feuilles

qui tombent appellent – léger choc en retour d’un coup d’éventail – les feuilles qu’on tourne et il faut lire, ne serait-ce

que pour s’imaginer qu’on s’endort avec la terre mourante.

(Ça c’est du style à trois sous !),

” ajoute-t-elle, tout en demandant à son protégé de la tenir au courant de nouvelles

concernant la maison dont “

Notre compagnon directeur a l’air de ne pas s’occuper du tout

”.

Je suppose que vous n’écrivez pas seulement pour parler poisson sur un seul crin ?

[...]

Je ne crois pas que ce puisse être

désormais celui qui Bègle mais bien celle qui bègle qui nous serait la puissance des ténèbres.

Dans la troisième lettre, l’agacement face aux farces répétées de Jarry commence à pointer :

Ne manquez pas mardi, si vous pouvez venir, Ubu, d’apporter une preuve quelconque au sujet de la porte

refermée par vos soins car le père des Trolls m’ayant posé la question directe, j’ai dû répondre la vérité...

[...]

Le père des Troll a été d’une grande colère car, comme je vous le disais, il avait une absolue confiance en

vous... jusqu’ à me reprocher amèrement de ne pas avoir rangé sa cuillère à poisson qu’il m’avait cependant

vu remettre en place !

Maintenant, ayant le temps de réfléchir et de vous juger... selon les lois relatives à l’Absolu que vous détenez,

il incline à plus d’indulgence mais vraiment, Ubu, moi je demeure tout à fait désolé d’avoir perdu deux

heures à ne pouvoir refermer ma porte au lieu de m’amuser en mon Phalanstère comme je me le promettais.

Vous me faites vivre, là-bas, dans des transes continuelles qui conviendraient à peine à une médium. Ce

n’est pas bien de vous ficher ainsi des vieilles dames souffrantes et perpétuellement terrifiées par le surnaturel

de la vie comme moi.

La nouvelle de la disparition d’un des leurs y occupe bien moins de place que les impertinences de Jarry :

“Jean de Tinan est mort et on l’enterre lundi au Père Lachaise.”

(Le jeune écrivain et chroniqueur du

Mercure de France

avait succombé le 18 novembre 1898 à une crise cardiaque.)

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