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Amateur renommé et lecteur fervent – les catalogues de sa bibliothèque littéraire rédigés

par Vérène de Diesbach-Soultrait, en cours de publication, disent assez l’étendue et la richesse de la

collection* –, Jean Bonna n’en a pas moins emprunté des chemins de traverse. Depuis le somptueux

exemplaire de dédicace des

Discorsi

de Galilée jusqu’au premier livre de Friedrich Engels, la collection

qu’il a choisi de disperser témoigne ainsi d’une ouverture peu commune : voyages, sciences, économie

politique, livres de peintres, curiosités typographiques ou historiques voisinent avec les œuvres

littéraires.

A la question rituelle : Qu’est-ce que la bibliophilie ?, Jean Bonna apporte une réponse argumentée,

basée sur des livres et manuscrits choisis. La bibliophilie n’est pas une manie : c’est d’abord une curiosité

et c’est un goût – goût pour les autographes significatifs par exemple, comme le projet de mémoire en

défense de

Madame Bovary,

que Flaubert ne fut pas autorisé à publier, ou comme la belle lettre de la

poétesse Veronica Gambara à l’Arétin, dont la retenue dit beaucoup plus que les mots. Curiosité pour

les reliures bien entendu – ici : Rose Adler, André Mare, René Wiener, etc. – reliures que l’amateur

a parfois aussi commanditées, inscrivant sa bibliothèque dans l’avenir : pas moins de 15 créations

originales de Jean de Gonet sont ainsi proposées, recouvrant des livres du XV

e

au XX

e

siècle. Enfant

turbulent de la reliure de notre temps, dont il a renouvelé les codes et l’esthétique, Jean de Gonet a

su aborder tous les genres avec brio ; la dispersion d’un ensemble significatif de ses réalisations est un

hommage à son talent multiforme.

Jean Bonna incarne une bibliophilie sans œillères, ouverte ; il s’inscrit dans les pas d’amateurs fameux

dont les modèles contemporains sont sans doute Jean-Paul Barbier Mueller, Pierre Bergé ou Jacques

Guérin. On ne s’étonnera donc pas de retrouver ici deux pièces provenant de la collection du dernier :

l’exemplaire sur grand papier du

Génie du christianisme

de Chateaubriand édité par les Ballanche, amis

lyonnais de l’auteur, et le manuscrit autographe d’un poème de Stéphane Mallarmé :

À celle qui est

tranquille.

Parmi les livres anciens, figurent plusieurs ouvrages en reliures du temps, certaines avec décor

polychrome à la cire tels ce Virgile de 1554, cette Bible protestante de 1570, en reliure genevoise, et les

Euvres vulgaires de Françoys Petrarque,

traduites par Vasquin Philieul de Carpentras et imprimées en

Avignon en 1555 : l’ouvrage témoigne de l’importance de la Provence dans l’essor du pétrarquisme en

France au XVI

e

siècle. On relève également un exemplaire de l’édition vénitienne de la

Divina Comedia

di Dante

(1569) conservé dans une ravissante reliure en vélin doré de l’époque.

La plus précieuse des reliures décorées de la Renaissance proposées par Jean Bonna est sans conteste

celle exécutée vers 1540 pour le roi François I

er

par le premier relieur du roi, Etienne Roffet. Mêlant

dans son décor armes royales et salamandre, elle recouvre une impression vénitienne des Alde de 1533,

les

Libri de re rustica –

recueil des écrits des agronomes latins. Cet élégant volume appartenait à la

célèbre “bibliothèque italienne” du souverain qui devait faire date dans l’histoire de la reliure : en effet,

“c’est la première fois que des armoiries sont systématiquement apposées sur les livres d’une collection

personnelle” (Magali Vène).

Les livres illustrés des XV

e

et XVI

e

siècles comptent notamment

La Louenge et vertu des nobles et cleres

dames

de Boccace publiée par Vérard en 1493 avec 80 bois gravés, le

Dialogus creaturarum

paru à Anvers

chez Gerard Leeu en 1491, illustré d’une suite fameuse de 121 figures animalières gravées sur bois

(remarquable reliure semi-souple de Jean de Gonet en ébène) ou la

Grant Dyablerie

d’Eloy d'Amerval

(Paris, 1518) restituant le dialogue imaginaire entre Lucifer, prince de l’Enfer, et son représentant sur

terre, Satan. Les deux démons se congratulent, jugeant avec satisfaction des mauvaises actions qu’ils

suscitent. L’exemplaire porte l’ex-libris manuscrit d’Enguerrand Charreton, sans doute un descendant

d’Enguerrand Quarton, le peintre du fameux

Couronnement de la Vierge

de Villeneuve-lès-Avignon.