118. GAuGuIN (Paul). L
ETTRE AuTOGRAPHE SIGNéE à
C
HARLES
M
ORICE
, datée [Tahiti]
Août
[18]
98
, 3 pages et
demie in-8 (198 x 155 mm), sous chemise demi-maroquin bleu moderne.
8 000 / 10 000 €
S
éVèRE ET DOuLOuREuSE LETTRE DE
T
AHITI
,
à PROPOS DE
N
OA
N
OA
. A
PPAREMMENT INéDITE
.
Fixé à Tahiti en 1895, pour son deuxième séjour, Gauguin, très démuni et malade, désespérait de son sort. Trois mois avant
cette lettre, il avait tenté de se suicider. Durant ce même mois d’avril, il obtint en ville un petit emploi au cadastre lui
permettant de subsister. Il répond à une lettre de reproches de Charles Morice, qui avait écrit avec lui
Noa Noa
, ce récit du
premier séjour du peintre à Tahiti, publié dans
La Revue blanche
d’octobre et novembre 1897. Morice s’efforçait alors de
placer ce livre chez un éditeur (
Noa Noa
sera publié en 1901 aux éditions de La Plume, mais Gauguin ne verra jamais ce
volume). un désaccord éclatera entre eux, Morice ayant touché seul et sans partage les droits de la publication en revue.
Morice lui ayant reproché d’oublier ses efforts en sa faveur, Gauguin riposte vivement :
il faut avouer que tes courtes lettres,
si spirituelles qu’elles soient, deviennent inintelligibles pour moi, deviennent des rébus que je ne peux déchiffrer dans l’état
pitoyable où je suis. Si tu n’as pas le temps nécessaire pour m’écrire, abstiens-toi totalement ; j’ai encore peu de temps à
vivre et il vaut mieux ne pas me tourmenter. A quoi fais-tu allusion en m’accusant d’oublier tes efforts ? Je n’ai pas de copie
de lettres comme les commerçants et je ne sais laquelle de mes lettres longues et explicatives a pu te blesser
[...]
Est-ce ma
réponse à ta demande de toucher l’argent de Noa Noa
[les droits d’auteur de
La Revue blanche,
que Gauguin, qui n’avait
rien touché, refusait de partager avec lui]
?
[...]
tu agis avec sévérité en me refusant la bouchée de pain - la seule - qui se
présente possible dans un temps toujours à venir
[...]
je souffre physiquement depuis deux ans
[...]
je n’ai plus de forces -
tout sombre devant moi, et tu viens me tourmenter, toi l’ami et non l’ennemi
[...]
Hors de la société, hors de la famille, - je
n’ai jamais lu ces mots (cher père) écrits par mes enfants
[Gauguin avait, l’année précédente, rompu avec sa femme] [...]
à défaut d’expansion mes actes et mes paroles témoignaient pour moi du peu d’oubli de ce que l’on fait pour moi
[...]
quoiqu’il en soit, pour conclure
,
je te dirai alors sévèrement : “Mon cher Morice, cessons cette correspondance à bâtons
rompus qui ne rime à rien ; mieux vaut encore le pur souvenir d’une bonne amitié d’autrefois, désormais dans le silence”
[…]
P.S. Je venais de terminer un tableau que je crois une belle œuvre et je te l’avais dédié, considérant que la nécessité
cruelle, qui m’obligeait à te refuser ce que tu me demandais, me forçait à un dédommagement. Il est vrai que mon tableau
n’a aucune valeur pécuniaire, mais l’intention vaut le fait
[…]
En le regardant, tu penseras peut-être que j’ai toujours été
et que je suis encore plus ton ami que tu ne le pensais.
Rousseurs éparses, insignifiantes déchirures.
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