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PAYS ÉTRANGERS & VOYAGES
AFRIQUE-AMÉRIQUE-ESCLAVAGE
Archives d’Antoine Guerry Duclaud.
Natif de La Rochefoucauld (Charente), il déserte l’armée en 1759 et part en 1761 pour la côte de Guinée
où il travaille pour la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, en particulier pour la vente d’esclaves.
En 1771, il traverse l’Atlantique et part s’installer à Paramaribo (Surinam)
comme « Negerhuuren » (« loueur de nègres »). Il ne rentre en Europe qu’en 1775.
64.
DÉPART
. Lettre adressée à son père « Guerry Duclaud, procureur au duché pairie et sénéchaussée de
La Rochefoucauld ». 1 p. in-4. Namur, 27 oct. 1759. Adresse, marque postale et cachet de cire au dos.
Ayant fui la France, il parle du commerce qu’il a développé en Flandre et de ses voyages.
100 / 150 €
65.
AFRIQUE
. Manuscrit autographe intitulé : « Relation de la côte d’Affrique et des différentes sortes de
nations qui l’habitent, de leurs religions, de leur négoce et de ce qui y croit ». Et sur le côté : « Relation
de la Côte de Guinée ». 4 pp. in-folio d’une écriture dense. [Fort d’Amsterdam dit de Cormantin, côte
de Guinée, ancienne Côte de l’Or, 1769].
Exceptionnelle relation d’Afrique
. Ecrite sous forme de rapport. Il s’agit de
la première lettre qu’il écrit à ses
parents depuis huit ans qu’il est installé sur les côtes de Guinée
, comme il l’indique en fin : « Depuy l’année
1762, je ne vous ay point ecript […] ».
Récit du voyage du navire se rendant au fort de Saint-George d’Elmina, résidence de la Compagnie néerlandaise des
Indes occidentales, qui y organise son commerce, en particulier d’esclaves. Il passe en revue les différents forts de
la côte jusqu’au « Benain où les navires qui y font négoce y traittent beaucoup de captifs », compare le commerce
anglais à celui des Hollandais « beaucoup plus florissant », la météorologie des lieux, les cultures. «
Les nègres
ne cultivent rien sy ce n’est du bled d’Espagne et du vin de palmier, tout le reste vient de Dieu et de grâces
.
Ils sèment ce bled au mois de may et le cueillent au mois d’aoust […].
Le vin de palmier est la seule boisson
qu’on aye dans ce paÿs
, c’est un arbre qui vient comme un sapin. Son bois casse comme le figuier ». Il explique
comment confectionner des infusions à partir « de jettons qui sortent de terre auprès du gros pied » et on y attache
un pot « pour recevoir la liqueur qui est douce comme du vin nouveau ». «
Les bananes et les figues y sont fort
communs, des papeys c’est comme des melons à peu près, des goyaves et quantité d’autres sortes de fruits
dont il ne m’est pas possible de vous en donner une idée juste ne ressemblant pas à ceux d’Europe
; on appelle
aussy cette côte, la côte de Guynée, je vous ay déjà donné une idée de sa grandeur, je vais vous parler à présent de
son négoce ». Suit alors un long développement sur les animaux sauvages, et le commerce de la gomme, du coton,
des « dents d’éléphans », l’or en poudre, les peaux de tigres, les « captifs », etc. « Il y a aussy des bœufs sauvages
et des chevaux sauvages mais ils se retirent sy en avant dans les terres que les Blancs n’en peuvent guère voir car
il
est bon de vous dire qu’aucun blanc ne peut pas s’éloigner plus de 4 à 5 lieues du bord de la mer, les Noirs ne
leur donneroyent pas passage et même les dépouilleroyent et pilleroyent tout. Les Blancs sont maîtres dans
leurs forteresses mais pas dehors
[…] ». Il s’attarde ensuite à décrire le fonctionnement de la Compagnie dont il est
employé et son propre sort : sur 40 hommes arrivés avec lui en mai 1761 sur la côte d’Afrique, ils ne sont plus que 5 :
5 sont retournés en Europe et 30 sont morts.
Puis, les étranges coutumes des populations locales, en particulier
l’anthropophagie
. « La religion des Nègres a quelques rapports à l’ancienne loy ;
lorsqu’un gros vient à mourir,
on tranche la tête à 10 ou 20 captifs qui sont sacrifiez pour le mort. Lorsqu’on l’enterre, on met la tête des
esclaves dans la fosse, 2 à la tête et 2 au pied et on pose le cercueil là dessus. Les corps sont coupés par pièces
et par morceaux et partagés entre les parants du deffunt, qui les cuisent avec d’autres viandes pour faire le
festin ; ils en remplissent aussy de grands plats qu’ils vont exposer au milieu de trois ou quatre chemins
. Les
anciens l’offroyent à Dieu mais eux le donnent pour le Diable […] ». Il raconte les guerres tribales, la manière dont
ils se préparent pour le combat, avec des armes à feu et des armes blanches. «
Lorsqu’ils peuvent surprendre
l’ennemy pour piller les femmes et les enfants pour captifs et mettre le feu dans le village, pour lors la victoire
est remportée. Les fusils qu’ils portent sont fort inutiles car bien souvent ils les jettent pour mieux se sauver
».
Il raconte la coutume du mariage, leurs habitats « qui ne sont autre chose que des murs de terre couverts de paille
sans avoir aucun meubles que des nattes pour coucher dessus,
car il y a des Nègres qui sont riches comme des
Juifs, en or en poudre, en captifs, et sont mal vêtus
». Les rites particuliers de justice où les riches condamnés font
subir leur peine à leurs captifs. «
Un homme captif coût 500 livres et une femme 400 ; un Blanc qui achète une
captive et qui lui fait un enfant, elle devient franche, mais ces dames sont sy brunes qu’il y a très peu de Blancs
qui s’y amusent ; une personne qui pense bien ne les achète que pour servir ou pour revendre
». Il raconte ses
péripéties, coincé trois jours sur un navire de Dunkerque, sa barque s’étant retournée. Il va faire parvenir de l’argent
à sa famille en France en vendant « 5 ou 6 beaux captifs dont la plupart entendent très bien le français ». Il évoque
aussi sa vie au quotidien. «
Les gens qui n’aiment pas la solitude ne sont pas bien dans ce pays, icy la mélancolie
et le chagrin sont la cause qu’il meurt icy beaucoup de monde
. Les vivres ne sont pas égales à ceux d’Europe, il
est fort difficile de s’y accoutumer
: imaginez vous s’il y a beaucoup de plaisir d’estre dans un village avec 10 ou
12 blancs et un cent plus ou moins de captifs, depuis le matin jusqu’au soir rester dans des magasins d’où on
tire des marchandises pour embarquer et d’autres qu’on débarquent
, de quel côté on se tourne on ne voit que
des bois et des bruyères,
il n’y a icy qu’autre satisfaction que celle d’y faire un peu de bourse et d’y bien vivre
[…] ».
2 000 / 3 000 €




