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AUTOGRAPHES & MANUSCRITS
1. BERLIOZ
(Hector). Lettre autographe signée «
Hector Berlioz
», adressée à Charles Duveyrier. Rome,
28 juillet 1831. 2 pp. in-4, adresse au dos, fentes et légères traces d’humidité.
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S
UPERBE
LETTRE
ÉCRITE ALORS QU
’
IL RÉSIDAIT À
LA
V
ILLA
M
ÉDICIS
:
c’est en 1830, année où il composa la
Symphonie
fantastique
, que Berlioz reçut le premier prix de Rome pour sa cantate
Sardanapale
. Il fut alors pensionnaire à la
villa Médicis de 1831 à 1832.
U
N
CRI
DU
CŒUR
SUR
SES
FIANÇAILLES
ROMPUES
:
durant l’hiver 1829-1830, Berlioz se ança avec la jeune et
brillante pianiste Camille Moke, mais, alors qu’il était à Rome, sa promise épousa le facteur de piano Camille
Pleyel. Fou de rage, Berlioz décida de rentrer en France tuer la parjure, mais s’arrêta en chemin, à Nice, avant
de retourner à Rome.
L
A SEULE LETTRE CONNUE OÙ
IL RÉVÈLE EXPLICITEMENT SON ATTIRANCE POUR LE
S
AINT
-S
IMONISME
.
De sensibilité libérale,
Hector Berlioz entra en contact avec les saint-simoniens à la n de 1830 : deux de ses amis étaient proches du
groupe, Ferdinand Hiller et Dominique Tajan-Rogé, de même que l’architecte Alexis Cendrier, pensionnaire à
la villa Médicis en même temps que lui. Il fut donc mis en relation avec le saint-simonien Charles Duveyrier
(1803-1866) qui multiplia les efforts pour le convertir à leur cause : ami de Prosper Enfantin, ce journaliste
collaborait au journal saint-simonien
Le Globe
, et, comme auteur dramatique, était bien introduit dans le monde
du spectacle et les cercles littéraires – il serait le librettiste avec Scribe des
Vêpres siciliennes
de Verdi.
La présente lettre, redécouverte seulement dans les années 1950, révèle l’intérêt enthousiaste d’Hector Berlioz
pour le saint-simonisme, mais souligne également qu’il ne se départait pas pour autant de son sens critique. Il ne
s’investirait d’ailleurs pas à proprement parler dans le mouvement, en raison de l’évolution religieuse de celui-ci
et de la personnalité d’Enfantin. En revanche, il demeurerait marqué par l’idéal humanitaire et fraternel du saint-
simonisme, et plusieurs de ses œuvres conservent la trace de messages mystiques ou sociaux inspirés par celui-ci,
comme
Le Temple universel
ou
Le Chant des chemins de fer
, voire son projet d’oratorio
Le Dernier jour du monde
.
U
NE MISSIVE
INTERCEPTÉE PAR LA CENSURE AUTRICHIENNE
:
Metternich eut copie de la présente lettre et écrivit à son
ambassadeur à Rome de ne pas laisser entrer Berlioz dans les territoires italiens sous contrôle de l’Autriche.
«
Mon cher ami, ou plutôt mon cher père, vos paroles n’ont pas été perdues... la chaleur, la passion avec lesquelles vous
m’avez d’abord prêché la doctrine, m’avaient plustôt étonné que touché ; mais dans ce cas comme dans tous les autres,
il faut laisser agir le temps.
Depuis que je vous ai quitté, de nouveaux orages sont venus fondre sur moi
;
LA
BASSESSE
ET
L
’
INFAMIE
AVAIENT
CONSPIRÉ MA
PERTE
;
COMME
VOUS
L
’
AVEZ
PEUT
-
ÊTRE
APPRIS
, C
AMILLE
A
ÉPOUSÉ
P
LEYEL
,
au mépris des liens les plus
forts, les plus sacrés, au mépris de son honneur et de sa réputation. N’en parlons plus
.
Depuis que je suis de retour à Rome, j’ai fait connaissance avec un des nôtres, Cendrier l’architecte ; nous avons
souvent parlé de vous et de St-Simon. Sa conviction froide et calme m’ont fait beaucoup ré échir ; j’ai lu avec avidité
une liasse de numéros du Globe qu’on m’a prêtée dernièrement et mes derniers doutes ont été levés complettement.
D
ANS
TOUT
CE
QUI
TIENT
À
LA
RÉORGANISATION
POLITIQUE
DE
LA
SOCIÉTÉ
,
JE
SUIS
CONVAINCU
AUJOURD
’
HUI
QUE
LE
PLAN DE
S
T
-S
IMON
EST
LE
SEUL
COMPLET
,
MAIS
JE DOIS
VOUS DIRE QUE MES
IDÉES N
’
ONT
PAS
LE MOINS DU MONDE
VARIÉ
SUR
TOUT
CE QUI
TIENT
AUX OPINIONS
EXTRA
-
HUMAINES
,
SUR
D
IEU
,
SUR
L
’
ÂME
,
SUR UNE
AUTRE
VIE
,
ETC
...
Je pense que
ce ne peut pas être un obstacle à ce que j’unisse mes vœux et mes efforts aux vôtres pour l’amélioration de la classe
la plus nombreuse et la plus pauvre, pour le classement naturel des capacités et pour l’anéantissement des privilèges
de toute espèce, qui, cachés comme la vermine dans les derniers replis du corps social, avaient jusqu’ici paralysés les
efforts tentés pour sa guérison.
Écrivez-moi là-dessus, je vous répondrai aussitôt pour vous communiquer
MES
IDÉES
SUR
LES MOYENS DE M
’
EMPLOYER
MUSICALEMENT
AU GRAND ŒUVRE
à mon retour à Paris ; je puis vous certi er qu’en attendant ce moment, que j’appelle
de tous mes vœux
,
JE
CHERCHERAI
AUTANT QU
’
IL
SERA
EN MOI
A
RÉPANDRE
PARMI
LES
ARTISTES QUE
JE
FRÉQUENTE
,
LA
CONVICTION DONT
JE
SUIS
PÉNÉTRÉ
.
Adieu, adieu. J’attends et j’espère...
»
Les fentes au stylet et traces d’humidité ont été faites dans le cadre des mesures prophylactiques alors en
vigueur aux frontières française en raison de la progression de l’épidémie de choléra en Europe.
Provenance : Léon Constantin (mention dorée sur le premier plat). Auteur d’une biographie d’Hector
Berlioz, publiée en 1934 avec préface du ministre et bibliophile Louis Barthou, Léon Constantin (1896-1973)
était analyste nancier de son état.




