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[DREYFUS]. Georges CLAIRIN (1843-1920) peintre.

8 lettres autographes signées

“G. Clairin”.

[Rennes août 1899], à un ami ; 18 pages in-4 ou in-8.

Très intéressant témoignage d’un dreyfusard lors du procès de révision de l’affaire Dreyfus à Rennes.

Clairin décrit la succession fastidieuse et parfois ridicule des experts, dont Charavay “ressemblant à

un cocher russe”, et il évoque le parti-pris de certains journaux alors que “Ce n’est pas de la politique.

Il s’agit de la vie d’un officier”... Il s’est accordé quelques heures de repos à Saint-Malo où il a reçu

une dépêche de Sarah Bernhardt qui y joue. Il décrit l’attitude noble, généreuse, et la franchise de

Freystatter, l’absurde Bertillon : “le Conseil est visiblement embêté par toutes ces histoires d’écriture”,

puis le coup porté d’une belle voix sonore par Labori. On accable les morts “afin de faire lever les

vivants soit qu’ils prennent la défense des morts attaqués, soit les forcer à dire que les morts sont les

seuls responsables – alors c’est la victoire”... Les témoignages des grands manitous comme Freycinet et

Brisson sont attendus. Le Conseil a toujours peur “de donner l’occasion à Labori de toucher sur les 3

généraux. Les défendre quand même – Dupaty, Henry, Esterhazy – voilà les 3 têtes sur lesquelles on

peut taper”. Clairin décrit la salle du procès avec la ligne des vieux généraux, “vieilles bêtes méchantes”,

celle des plus jeunes officiers “rosses et gredins”, et qui tous ont menti, et au-dessus de la tête du

président une statue du Christ faisant face à l’autre martyr juif : “Ah ! Si V. Hugo voyait cela ! (...)

Ah ! Si j’étais poète, prosateur”... Vendredi 25 : “cela devient de plus en plus dégoûtant”, les témoins

ne s’occupent que d’eux-mêmes, “oubliant le martyr, tous enchantés de jouer un rôle ignoble vil ou

menteur”. Bertillon est de plus en plus ridicule dans ses explications. Clairin se dit furieux et dégoûté

de cette ignoble comédie, “et pendant ce temps là le fou criminel [Bertillon] continue à expliquer

son invention quand même – et on oublie le martyr juif moderne. Et le petit martyr ancien juif

aussi – en plâtre – pleure toujours et dit : voilà – c’est pour ce monde moderne que je suis mort

crucifié ! (...) le drame est toujours très terrible et curieux à la fois”... Il raconte comment Dreyfus a

obtenu qu’on punisse un adjudant qui passait sans le saluer. Commentaires sur l’ambiance du procès,

la distraction du Conseil – on se lève pour aller fumer dans le préau ou soulager sa vessie –, sur le

colonel Cordier “tout à fait bien, disant qu’on pouvait ne pas aimer les Juifs – mais bien croire à

l’innocence de Dreyfus”, sur Labori qui fait une peur épouvantable au Conseil, sur la lutte permanente

entre justice militaire et justice civile qui laisse apercevoir les haines militaires, sur la déposition du

général Freycinet qui en parlant de paix a semblé pouvoir faire s’envoler toutes les lâchetés et saletés

qui se sont dites. Malgré les cancans et les potins de concierges, il est optimiste et l’affaire lui semble

prendre bonne tournure, après le départ des experts, “les gredins prétentieux”. Il parle encore de Picot,

Hartmann, Delay, Roget, Boisdeffre, Gonse, Billot et Mercier, ou encore des salamaleks qu’échangent

le groupe des civils gredins (Lemaître, Barrès, Simon...) avec les généraux. Dreyfus semble remonter un

peu, “il devient de temps en temps tout rouge – et tout pâle – étonnamment devant quelques incidents.

(...) je crois qu’il y a désaccord entre les grosses têtes”...

Clairin raconte comment, lors d’une séance émouvante, Dreyfus a souffert et pleuré, les membres du

Conseil n’osant le regarder à l’exception des “petites rosses de l’Etat-Major et le gredin en chef Roget qui

est encore venu parler pour des bêtises. (...) J’ai toujours confiance, les larmes les horribles souffrances

du martyr de ce matin ont produit bon effet – Dire que nous en sommes là ! C’est honteux”... Compte

rendu d’une séance au cours de laquelle Dreyfus a semblé de plus en plus solide, prenant des notes, et

parlant avec son avocat : “ce n’est plus la statue des premiers jours”. Les témoins n’apportent rien de

nouveau, c’est maintenant Esterhazy, Henry et Dupaty de Clam qui écopent... “La défense prend une

autre physionomie. On se répond on s’attaque poliment et dans cette lutte on voit de plus en plus le

mépris de l’épée pour la robe”...

On joint une carte postale représentant Clairin au procès de Rennes avec Blavet, les Claretie, Hennion,

etc. et un pamphlet avec caricature contre l’avocat Labori.

600 / 800