Ce livre ne vit cependant jamais le jour à l’exception de quelques chapitres publiés en janvier 1936 dans la revue de Jean
Fraysse
Les Feux de Paris
. L’édition intégrale de ce livre très éloigné de la commande initiale et qui s’était transformé en
une vaste fresque de l’épopée des avant-gardes sera finalement publiée en intégralité dans
Chroniques des Temps héroïques
aux éditions Broder en octobre 1956, truffée de trois lithographies, trois pointes sèches et vingt-quatre dessins inédits de
Picasso. Le manuscrit, regroupé par un bibliophile en chapitres-albums relativement homogènes, a été dispersé, l’un d’entre
eux est conservé aujourd’hui à la bibliothèque d’Orléans (“Mouvement moderne”), un autre à la Bibliothèque nationale de
France “Art Nègre”.
N
OTRE MANuSCRIT EST LE PREMIER éTAT PARTIEL DE LA RéDACTION Du RECuEIL à VENIR
: il correspond au premier et deuxième
chapitre (dans l’édition Broder : p. 13- 33 sur 39). Cependant s’il est incomplet, dix-sept lignes (f° 22) sont inédites : on y
croise Sacha Guitry et le ténor Agénor.
Les variantes avec le texte édité se concentrent essentiellement sur les titres et tous les sous-titres retirés au tirage (“Le Tiers
transporté — Chronique des temps héroïques” ; “La baronne (suite et fin)”…) ou déplacés à la publication (“Le Cycle du
révolver/ 1
ere
mise au point”, titre qui ouvre le second chapitre est devenu sous-section du chapitre) quand ils n’ont pas été
simplement supprimés (“Le ténor auvergnat” sous-section du chapitre II) ou transformés — “Bibliographie” pour
“Biographie” (f° 22). De nombreux repentirs et renvois parsèment le texte subdivisé en paragraphes numérotés non retenus
au tirage. Toutefois, Jacob a indiqué ses souhaits d’impression (“en italique”, f° 9 ; “Très important”, f° 11).
Par “
Temps Héroïques
”, Max Jacob entendait la période allant de la Belle époque à la Première guerre mondiale :
an mil
neuf cent, c’est donc toi qui es le Jugement Dernier d’un siècle d’Art, et non la guerre qui n’en est que la Trompette tardive
.
Il débute par les années 1900 et se limite aux
arts
, aux
Beaux-Arts
:
S’il fallait peindre tout 1905, vous auriez eu les cinémas,
les autos, déjà les avions, Freud ouvrant avec la clef du sexe les mystères de l’Inconscient fermés par Bergson
[
…
]
Picasso
et ses amis adoptaient la casquette, la ceinture de cuir et le tricot
. Rapide saut dans le temps, il évoque son ami Apollinaire
“
blessé à la tête
[qui]
chantait les « obus couleurs de lune » dans Calligrammes
[…]
Guillaume n’aimait, de toutes les
musiques, que les romances de Schubert. C’est inutilement qu’on a essayé de le tromper avec de faux Schubert : il les
reconnaissait
”. Jacob se remémore la présentation, par Apollinaire, de Marie Laurencin à Marinetti qui apparaît à de
nombreuses reprises et sous des traits peu flatteurs.
Dans le chapitre
Poètes,
il évoque ses amis poètes :
quels humoristes nous étions en 1920 ! non ! il nous faut avec le sang
de Reverdy les tripes d’Antonin Artaud en plus gai
” et lance des piques contre les surréalistes qui “
ignorent mon nom bien
qu’ils connaissent assez mes œuvres
[…]
pour pouvoir les ignorer.
un long passage est consacré à la poétesse Gisèle
Prassinos, alors âgée de 14 ans, dans
Surréalisme et médiums.
Suivent deux chapitres très amusants consacrés à
madame la baronne d’Œttingen
[Roch Grey]
, notre temple d’avant la
guerre
:
Tige recourbée au-dessus des poulains elle reçut une demi-douzaine mirobolante d’Apollons bruns (Marinetti
n’était pas là : il distribuait, je pense, des prospectus futuristes à Haïphong)
[…]
C’était dans le silencieux rez-de-chaussée
Boulevard Raspail où, avec la concentrée Irène Lagut, Serge Ferat déjà célèbre peignait le cubisme sur verre
[…]
L’acropole
cubiste lit des vers la nuit devant d’élégantes bouteilles
[…]
Je l’ai vue
[Roch Grey]
s’appliquer à la cour du savant et
candide Guillaume Apollinaire. Elle avait des bas de velours bleu et une haute coiffure d’un blond roux
[…]
Elle aimait la
médecine, les pédérastes, les syphilitiques. 1936 n’aime que la santé
.
Max Jacob mentionne Salmon, Picasso (
En ce temps-là Picasso maîtrisait son siècle en maîtrisant sa propre gourme géniale
par le sacrifice de ses naturelles coquetteries
), et encore Apollinaire. Après avoir répliqué à une critique de Sacha Guitry,
une anecdote vécue avec Picasso, rue Ravignan, est partiellement racontée (manque la suite, la phrase en bas de page reste
interrompue).
Nous remercions Madame Patricia Sustrac pour l’aide précieuse qu’elle a apportée à la rédaction de cette notice.
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