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Mercredi 26 février 2020

MATHIAS & OGER - BLANCHET

AUTOGRAPHES

371. GARÇON Maurice

[Lille, 1889 - Paris, 1967], grand avocat, historien et essayiste français.

Magnifique lettre autographe signée sur le procès de Nuremberg. Février 1946 ; 4 pages in-4°.

F

ormidable

témoignage

de

la

salle

du

procès

de

N

uremberg

. «

Vous connaissez Nuremberg, petite ville charmante et pleine de souvenirs. On aime

flâner dans son décor ancien.

[…]

De toutes ces beautés il ne reste rien. On ne peut plus reconnaître son chemin dans l’encombrement des

matériaux écroulés. Quelques pans de murs ont résisté

[…].

Partout ce ne sont que des tas de pierres et de briques, enchevêtrements de bois

et de fer.

[…]

Cette désolation est bien l’image de l’Allemagne d’aujourd’hui

[…].

Il ne reste rien du rêve formé par une poignée d’hommes

audacieux pour conquérir le monde sous la conduite d’un meneur ambitieux et frénétique. Je les ai vus, groupés sur deux rangs, comme

les mannequins d’un jeu de massacre, au banc des accusés. Ils sont divers et leur attitude fournit un rude sujet de méditations. Sauf Hitler,

Himmler et Goebels qui manquent à l’appel, tous les autres sont là. Ils ont bouleversé l’univers et ont tenus, un moment l’Europe entre

leurs mains.

[…]

Inaccessibles à la pitié, ils ont réduit les peuples en esclavage et des millions d’hommes ont péri sous leurs ordres.

[…]

Il y a

quelques jours, on a projeté devant eux un film qui représentait les étapes triomphales de leur accession. Ils ont pu s’apercevoir eux-mêmes

conquérant le pouvoir de haute lutte. Ils se sont vus acclamés par des foules immenses

. […] 

Lorsque, le film terminé, on a rendu la lumière,

ils sont sortis comme d’un rêve prodigieux et se sont retrouvés, gardés par des gendarmes, ramenés à la condition de malfaiteurs de droit

commun. En quelques semaines, tout ce qu’ils avaient cru construire pour longtemps s’est abîmé. On leur a mis la main au collet et les voilà,

voleurs, pillards et assassins, qui sont mis en demeure de rendre des comptes pour les crimes qu’ils ont commis contre l’humanité.

[…]

Seyss-

Inquart, étudiant débraillé et vieilli semble un voyou à cté de Neurath ou de l’amiral Donitz, gentlemen distingués. Ribbentrop, le visage tiré,

semble mal sorti d’une nuit d’insomnie. Papen parait maussade, il est courtaud et renfrogné. Frick, Funk, Sauckel ont des têtes épaisses de

brutes méchantes et butées. Streicher, tortionnaire impitoyable des juifs, montre une figure contractée et rageuse lorsqu’on parle de lui, tous

ses muscles sont tendus. Il se contient mais on sent gronder en lui une fureur prête à se manifester. Rosenberg a le visage plus vif. Très brun,

il porte le type presque latin. Ses traits sont nerveux et bien accentués.

[…]

Non loin de lui Hjalmar Schacht, financier du parti, est un vieux

monsieur, d’aspect respectable, visiblement dégoûté de se voir mélangé à des hommes de main

. […]

Rudolf Hess demeure une énigme. Il

est grand, mince et son front est haut. Il a les traits profondément marqués : deux rides partent de ses narines pour mettre la bouche entre

parenthèses.

[…]

Que pèse-t-il ? Que vaut-il ? Il est impossible de le savoir. Tout en lui est mystérieux

. […]

Et parmi tous ces accusés, un seul,

Goering, surclasse tous les autres par son apparence de rondeur et de bonhomie Il ne parle pas, mais ses gestes sont si expressifs qu’on

devine ses pensées. Parmi tous ces criminels, il est l’un des plus coupables, l’un de ceux dont le cynisme mérite le pire châtiment, mais il

est aussi celui qui intéresse le plus l’observateur. Visiblement il aime passionnément la vie. Tout l’intéresse. Son œil va de l’un à l’autre. Rien

de ce qui se passe dans la salle ne lui échappe. IL ne songe plus au passé qui lui procurerait des regrets, veut ignorer l’avenir qui s’annonce

décourageant et se réfugie dans le présent pour y prendre tout ce qui peut satisfaire sa curiosité immédiate

. […]

Tous ces gens seront

pendus, mais que de choses encore à révéler auparavant. Les heures passent sans que l’intérêt faiblisse. Au vrai peut-on bien dire les heures

? Les américains, qui ont organisé la salle comme un studio de cinéma, ont supprimé la lumière du jour. Un nombre incroyable de tubes au

néon procure un éclairage immobile et diffus qui efface les ombres et fait perdre la notion des temps. Certains, qui sont ici depuis deux mois,

trouvent que le procès traîne. Ils ont tord. L’impression de monotonie vient de ce que rien n’est présenté avec passion. La justice s’exerce

sereine et sans vaine éloquence.

»

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