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colonie du Portugal », aujourd’hui empire : le lendemain de leur arrivée
eut lieu un bal pour fêter l’émancipation du jeune Empereur, mais
le Prince n’y est pas allé, et Touchard était heureux de s’abstenir :
« la beauté des femmes est rare au Brésil. Le second bal a eu lieu
à deux ou trois jours de là chez M. Mounis, riche brésilien, de la
connaissance particulière de Las Cases, jeune homme distingué par
sa tenue et ses manières »... Détails sur un bal chez le gouverneur,
où le Prince est venu faire une surprise : « On sait que notre Prince
a pour sa fonction une antipathie profonde : faire et recevoir des
visites officielles – se mettre en scène, poser devant la foule – sont
choses qui l’assomment. Aussi, il n’avait reçu ou vu personne – le
Brésilien est vaniteux, susceptible et curieux, en sorte qu’il s’est
piqué de cette obstination à ne point paraître – on s’est pris à dire
à Bahia que si le Prince ne voulait pas se montrer, c’est qu’il était
difforme, bossu ou quelque chose de semblable »... Touchard
décrit l’effet produit à l’apparition du Prince en uniforme de
capitaine de vaisseau, « grand, beau et souriant. Ça a été un
vrai coup de théâtre »...
2
e
Cahier
. Touchard poursuit sa relation du séjour au
Brésil : observations sur les transports fluviaux, sur le sol
« d’une inépuisable fécondité », les magnifiques baies de
Bahia et de Rio... « Mais les Brésiliens, c’est autre chose :
des nègres esclaves et libres à côté d’un petit nombre de
blancs, puis entre ces deux races ennemies, une population
nombreuse d’homme de couleur, mélange à tous les
degrés des 2 premières races, jalouse du blanc, tyrannique
pour le noir, odieux à tous deux. Voilà quels hommes
un gouvernement démocratique a appelés à l’exercice
des droits politiques les plus étendus ! [...] Le bagage
est complet, mais trop lourd pour ce pauvre pays, qui
s’agite sous un gouvernement faible, sans énergie, sans
pouvoir »... Du reste, le commerce est aux mains des Anglais...
Touchard recule devant l’éventualité d’un mariage brésilien pour Joinville :
« Voilà le pays dont un Prince français pourrait devenir roi – il n’aurait qu’à se marier avec
une des sœurs du jeune empereur, qui lui apporterait en dot une des provinces »... On lui en a parlé avec
faveur dans les salons de Bahia, mais « si j’étais Prince français, je ne voudrais pas descendre d’un des degrés du trône de France,
pour m’asseoir sur un trône au Brésil. Destiné au premier rang dans sa flotte, je ne déserterais pas cet avenir », où il pourrait
être appelé à défendre l’indépendance et l’intégrité de la France... Récit d’une excursion de chasse sur la Paraguaçu, en direction
de Maragogipe, avec rencontre d’une population hostile : « une multitude armée de piques, de sabres et de pistolets, entra
dans l’eau, et entoura le canot, poussant des cris, furieuse et menaçante », mais « tout fut sauvé » grâce à un geste du Prince...
Excuses quelques jours plus tard de la présidence de la province... Départ de Bahia le 14 septembre, traversée du tropique du
Capricorne le matin du 20... Résumé d’une longue conversation avec Las Cases sur « sa loi électorale » : plaidoyer pour un
électorat limité à « la sommité d’intelligence », celle qui domine la pyramide sociale, par le paiement du cens, l’exercice de
certaines professions, ou l’obtention du grade de bachelier... Notes de lecture sur la marine : « Le rayonnement de la navigation
est toujours proportionné à la civilisation du peuple et au degré de liberté dont il jouit »...
Enfin le 8 octobre ils mouillent sur la rade de Sainte-Hélène... Excellent accueil des autorités anglaises et de l’agent consulaire
français. Visite du Prince et d’une partie de son état-major au gouverneur, le 9, à Plantation House, puis « au tombeau » : « je
vis 3 pierres sans nom, et je partageai le pieux recueillement et l’émotion de mes compagnons. Après une 1/2 heure bien vite
écoulée, on partit pour Longwood – triste séjour perdu dans les nuages, incessamment battu par le vent, ignoble baraque froide
et humide – juste ce qu’il fallait pour abréger la vie de l’illustre captif. Nous avons traversé dans un morne silence et chapeau bas
les chambres délabrées ou livrées aux plus vils usages. De sa chambre à coucher, on a fait une écurie – de celle où il est mort – un
moulin ! Des larmes roulaient dans nos yeux – larmes de pitié et d’indignation – le Prince était visiblement ému et oppressé.
[…] Puisse le gouvernement anglais faire cesser cet éclatant scandale »... Cependant à Longwood, « Las Cases a retrouvé
sa chambre – le g
al
Gourgaud la sienne. La maison du G
d
Maréchal était auprès, il nous l’a fait visiter, montrant à Arthur la
chambre où il est né – pauvre Arthur ! C’est une rude journée pour lui – au souvenir de l’Empereur se joint le souvenir de sa
mère qu’il a perdue ! En quittant Longwood, nous avions le cœur navré »... L’exhumation est prévue pour la nuit du 14 octobre ;
on commence les dispositions sur le navire (autel adossé au mât d’artimon), le Prince ayant nommé Touchard maître des
cérémonies ; grand dîner à bord, chez S.A. (liste des convives)... Le 15 octobre, 25
e
anniversaire de l’arrivée de l’Empereur sur
cette rade à bord du
Northumberland
, on termine les travaux de l’autel de
la Belle Poule
. Description détaillée de l’autel, des
dispositions prises pour le cercueil, et de l’admirable « décoration religieuse et militaire »... Précisions sur « les habits de deuil »
de la chaloupe aux enseignes impériales qui portera le cercueil du quai jusqu’à bord, et sur la situation en terre du cercueil
de l’Empereur (croquis, complété par un plan coté sur feuillet volant)... Témoignage oculaire de l’ouverture des cercueils de
plomb, de bois et de fer blanc, en début d’après-midi, en présence du gouverneur Middlemore, Chabot, Gourgaud, Coquereau,
le grand maréchal et son fils, « le docteur » [Guillard], les officiers supérieurs de la division et les serviteurs de l’Empereur.
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