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T
rès
belle
et
importante
correspondance
scientifique
et
amicale
à
«
l
’
ami
de
son
cœur
»
et
son
collaborateur
pour
les
L
eçons
d
’
anatomie comparée
. [Constant
D
uméril
(1774-1860), médecin et
naturaliste, fut professeur d’anatomie à l’École de Médecine,
et professeur d’erpétologie et d’ichtyologie au Muséum.]
Fontainebleau [16 brumaire XI (7 novembre
1802
)]
. Il a pris la
décision d’autoriser son frère à se marier : « Je ne vois pas
d’autre moyen de m’entourer d’un peu de gaîté. J’aurai au
moins le contentement des autres pour consolation de mon
malheur ; […] je ne pompe que les poisons de la mélancolie ;
mon caractère est comme ces fruits à pulpe sucrée, à amande
amère ; j’amuse les autres et je pleure »…
[Tain 25 brumaire
(16 novembre)]
. Il voyage : « ma voiture est un vrai cabinet où
je travaille tant qu’il me plait. Ses 4 glaces en font une espèce
de serre chaude, et lorsque je regarde elles me présentent
la plus superbe lanterne magique ; pays enchanteur »… À
Lyon, il a passé deux soirées charmantes avec la famille
J
ussieu
, et fait une excursion sur les hauteurs environnantes
avec Jussieu et Gilibert, déjeunant avec ces naturalistes dans
une hutte du temps des Romains. Les Lyonnaises sont toutes
charmantes : « je ne m’étonne plus que Madame Biot en soit.
C’est là je crois qu’il faudrait choisir sa maîtresse ; mais il
faudra l’emmener ailleurs. Au bout de 4 jours on doit s’ennuyer
dans une ville sans lettres, sans société, et dont le spectacle
est détestable »…
Marseille 1
er
frimaire (22 novembre)
.
Depuis 9 jours il visite de petites écoles « pleines d’écoliers
ignorants et de maîtres imbécilles » ; il a cependant acheté
des poissons de la Méditerranée dont il envoie les squelettes
à M. Rousseau et dont il met les viscères dans l’esprit de vin ;
il a aussi recueilli des mollusques. Il va partir pour Aix, Saint-
Maximin, Brignoles, Draguignan : « chemin à se rompre bras
et jambes, et des voleurs par-dessus le marché »…Il revient
sur sa mélancolie affective : « Les passions vrayes flétrissent
trop le cœur ; elles le rendent incapable d’être heureux ;
c’est comme en chimie ; rien n’est moins combustible que
ce qui est brulé ; voilà le secret de mon cœur ; c’est une
cendre épuisée »…
Draguignan 8 frimaire (29 novembre)
.
Vives plaintes au sujet des routes atroces, et des écoles,
avec anecdote sur un « prétendu maître » de géométrie ; il
ironisesur une Société d’émulation digne du Vaudeville. Il a
vu à Aix un nommé
B
oyer
de
F
onscolombe
, « qui se dit grand
amateur d’insectes ; mais tu ne lui as pas répondu ; si ses
lettres lui ressemblent je ne m’étonne pas de ton silence »…
Nice et Fréjus 13-15 frimaire (4-6 décembre)
. Les routes sont
si mauvaises que la duchesse de Cumberland, hivernant à
Nice, a dû faire arranger le chemin par des soldats. Cuvier
admire cependant le climat, la végétation, les parfumeries
de Grasse, le gibier et quelques bonnes surprises, comme
un maître d’école versificateur à Callian, ou le sous-préfet de
Grasse « qui a une très belle bibliothèque et qui au courant des
choses les plus nouvelles ». Il raille cependant le goût de ce
dernier pour Delisle de Salles et Gérando, avant de s’indigner
de l’ignorance des instituteurs : à Nice, « un pauvre diable qui
ne sait pas le latin, mais seulement l’anglais », n’a enseigné
que cela, « et les élèves de l’école centrale qui baragouinent
un peu de mauvais anglais, ne peuvent pas expliquer une fable
de Phèdre. Le reste est à l’avenant. Il y a des grands garçons
de quinze ans qui ne savent pas écrire deux mots de français
correctement. Ce sont de pauvre moines italiens qui leur
donnent des leçons particulières, en vérité on ne peut deviner
sur quoi »… Il raconte son dangereux passage du Var à gué…
Marseille 24 frimaire (15 décembre)
. En quinze jours, aidé d’un
ami de Deleuze, il a « déjà recueilli beaucoup de poissons.
J’ai fait dégrossir les squelettes de quelques-uns, mais ce qui
me tardait depuis longtems j’ai recommencé mes anatomies
de mollusques, pas celle du
Murex tritonis
, grosse coquille
dont l’animal ressemble fort à celui de Buccinum andatum,
que j’ai disséqué l’année dernière, mais dont la grandeur me
donnera des résultats curieux »… Il a d’ailleurs d’autres choses
dans son bocal. « Je veux tâcher de rester digne de toi, et du
rôle que j’ai eu dans les sciences ; si l’ambition m’a tenté un
instant, j’espère que cette faute n’aura pas d’influence durable
sur ma vie. Je serais au désespoir même d’être ministère,
aux depends des travaux que je crois m’être réservés »… Il
ne s’étonne pas du succès de M. de
C
andolle
: « Je lui écris
aujourd’hui même ainsi qu’à Biot et à Lacroix »…
Marseille 18 nivose (8 janvier
1803
)
. Duméril, Geoffroy et Biot lui
annoncent une bonne nouvelle : « je serais tiré d’une manière
honorable de la chienne de galère où je suis, et je serais placé
au poste qui me convient le mieux […] Je dissèque toujours
à force ; j’ai eu des pennatules vivantes de 3 espèces, toutes




